L'autre drame de l'été 2003 a donc frappé la recherche française : 25 essais plein champ destinés à évaluer de nouvelles variétés végétales ont été détruits. Des arrachages de cultures transgéniques à usage thérapeutique ont aussi été entreprises, comme ceux dont a été victime la société Meristem Therapeutics, le 16 août, dans le Puy-de-Dôme, sur un champ de maïs destiné à produire la lipase gastrique utilisée dans la lutte des troubles digestifs des patients atteints de mucoviscidose (« le Quotidien » du 4 septembre).
Près de la moitié des essais de plantes génétiquement modifiées mis en place en France auraient ainsi été réduits à néant. Ces saccages porteraient « un grave préjudice aux activités de recherche et de développement en biologie végétale, secteur pour lequel la France se place encore parmi les meilleurs au plan international ».
C'est en ces termes délibérément dramatiques que huit scientifiques de divers horizons (CNRS, INA, INRA, CIRAS, université Paul-Sabatier de Toulouse...) ont rédigé le texte d'une pétition qu'ils ont lancée le 3 septembre, intitulée « Défendons la recherche ».
« C'est vraiment un coup de gueule, commente l'un d'eux, Alain Toppan (Biogemma, Mondonville) ; il faut arrêter ce gâchis qui crée une situation sans équivalent dans le monde. »
Selon la société Biogemma, la reprise des arrachages, effectués sans discernement, serait imputable à la grâce partielle accordée par Jacques Chirac au leader de la Confédération paysanne, José Bové, condamné à dix mois de détention pour la destruction de plants de riz transgénique.
Déjà 1 500 pétitionnaires
Cette initiative pétitionnaire semble, quoi qu'il en soit, très fédérative : en dix jours, 1 500 membres de la communauté scientifique ont déjà paraphé la pétition. Condamnant des actes de destruction qui empêchent la progression du savoir et occultent tout débat serein sur les plantes génétiquement modifiées, ils expriment leur attachement à « un progrès maîtrisé et partagé, seul à même de garantir la liberté de choix à laquelle agriculteurs et consommateurs ont pleinement droit » et ils demandent au gouvernement de « prendre les mesures nécessaires pour permettre à la recherche végétale de remplir normalement ses missions ».
Parmi les signataires, on relève deux prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes (physique) et Jean-Marie Lehn (chimie), ainsi que le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France.
« Le développement de la pharmacologie moléculaire et de la chimie thérapeutique sont totalement tributaires des recherches sur les méthodes d'ADN recombinant , explique M. Changeux au "Quotidien". Les biotechnologies sont également dépendantes des plantes et des animaux transgéniques et les retombées sont et seront décisives, que ce soit dans la recherche sur le VIH, le diagnostic et le traitement des maladies génétiques, ou la mise au point de vaccins. »
« A cet égard, poursuit-il, et en ne prenant en considération que la seule recherche médicale, sans évoquer des secteurs qui ne relèvent pas de mon champ de compétence comme l'agronomie, je n'hésiterai pas à qualifier la situation actuelle de dramatique. Elle nécessite un engagement très ferme de pouvoirs publics pour soutenir la recherche. »
L'ancien président du Comité national consultatif d'éthique ne s'en veut pas moins « attentif » aux problématiques exprimées par certains, jusques et y compris dans les rangs de la communauté scientifique, à l'exemple de cette quarantaine de chercheurs du CIRAD et de plusieurs dizaines d'autres de l'INRA et de l'IRD, qui avaient adressé, en juin dernier, une lettre ouverte au président de la République, estimant que « la dissémination d'OGM dans des milieux qu'ils vont immanquablement contaminer ne peut être acceptée ».
« Il faut clairement se soucier de deux responsabilités complémentaires, estime pour sa part le Pr Changeux : le développement crucial des recherches à visées thérapeutiques, d'une part, et le souci des éventuels risques environnementaux et de santé, d'autre part. Ceux-ci doivent faire l'objet d'études de la part des organismes directement parties prenantes que sont le CNRS ou l'INRA et également de la part des organismes parlementaires chargés de l'évaluation des risques. Ces deux aspirations doivent être conjointement satisfaites, en dehors de toute idéologie obscurantiste et de toute politisation abusive : ni scientisme incontrôlé, ni négativisme démagogique, la voie empruntée doit être raisonnable et intelligente. »
Retrouver un peu de sérénité
A cette condition, les esprits échauffés pourraient retrouver un peu de sérénité. Cette sérénité dont la pétition « Défendons la recherche » rappelle qu'elle permet d'« initier dans le monde plusieurs milliers d'essais au champ de plantes transgéniques, en Amérique du Nord mais aussi dans des pays comme l'Inde ou la Chine ». Cependant que « la France, producteur agricole mondial majeur, est en train de perdre pied dans un domaine en évolution rapide, capital pour sa compétitivité scientifique et économique ».
Pétition sur Internet : http://defendonslarecherche.free.fr/
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