«ALLEZ DONC VOIR un orthophoniste, ça ne pourra pas vous faire du mal!» Rapportée par Michel P., orthophoniste installé en libéral depuis vingt-cinq ans dans le 18e arrondissement de Paris, cette réflexion d’un ORL à un patient qui lui demandait une rééducation en dit long.
«Pourtant, nous aussi nous faisons des études longues et nous suivons une formation continue intensive, remarque Anne-Marie Nordman, autre libérale, à Paris (13e). La manière dont nous considèrent parfois les médecins, c’est le coup du mépris. Il y a bien sûr des exceptions, comme les phoniatres, qui sont plus attentifs à notre pratique. Mais, dans l’ensemble, les médecins nous connaissent aussi mal qu’ils nous reconnaissent.»
«C’est symptomatique de constater, remarque Elodie Ohanna (Paris 15e), que la plupart des praticiens n’orientent pas leurs patients vers l’un d’entre nous en particulier, pour la bonne raison qu’ils ne nous identifient pas, et même qu’ils ne situent pas nos cabinets dans leurs quartiers.»
Situation hétérogène avec les généralistes.
«Personnellement, note Michel P., je suis plus à l’aise avec les médecins généralistes qu’avec les spécialistes, qui ont toujours tendance à aller au coeur de leur domaine sans beaucoup de considération pour ce qu’ils jugent périphérique.»
«La situation est assez hétérogène chez les généralistes, estime pour sa part Delphine B. (Paris 20e) ; si les pédiatres posent des diagnostics précis, il n’en va pas toujours de même des neurologues ou des gériatres. Des patients nous sont adressés pour des troubles de la mémoire, alors qu’ils présentent, en fait, un tableau dépressif, pour aphasie, alors qu’il s’agit de démence. Or ce flou nous est souvent préjudiciable, car, selon les mentions de la prescription, la nomenclature varie et nos honoraires ne sont pas du tout les mêmes.»
C’est le paradoxe de ces paramédicaux : pas vraiment respectés par les médecins, ils se plaignent de dépendre de ceux-ci. «Quand un patient vient directement nous consulter, nous sommes obligés de le renvoyer à la case médecin, pour qu’il se fasse délivrer la sacro-sainte prescription», rappelle Elodie Ohanna. Certes, tous les orthophonistes se félicitent de pouvoir disposer maintenant de la possibilité de reconduire une série de séances de rééducation. Mais ceux que « le Quotidien » a interrogés se plaignent du cadre contraignant que leur impose l’assurance-maladie, en particulier avec la rédaction d’un bilan à adresser obligatoirement au prescripteur.
«Nous nous donnons beaucoup de mal pour faire un compte rendu, confie Mme Nordman, sans nous faire d’illusions sur l’attention qui lui est accordée. Le plus souvent, ce sera un classement vertical. Et en aucun cas le médecin ne reprendra contact, ne fût-ce que pour un simple accusé de réception.»
Le coup du mépris, encore. En fait, les orthophonistes ont le sentiment de vivre une communication à sens unique avec les médecins. Et une communication très limitée : «Dans la pratique, il faut un très sérieux problème pour que nous nous permettions de décrocher notre téléphone, dit encore Mme Nordman, j’ai toujours peur de déranger.» «De toute manière, renchérit Michel P., je ne suis pas sûr que nous parlions la même langue!»
Un facteur aggravant est invoqué par les uns et les autres : le manque de temps. «Tout le monde est très occupé, constate Elodie Ohanna, et comme on n’a pas le temps de se parler, chacun finit par travailler de son côté, sans souci de l’autre.»«Finalement, moi, ça ne me gêne guère», lâche Delphine B.
Cependant, des perspectives pourraient s’ouvrir. «Nous qui sommes toujours en formation, nous avons quelques soirées interdisciplinaires pour globaliser l’approche des problèmes», se félicite Michel P. «Depuis quelques années, des réseaux se construisent, où l’hôpital communique avec la ville, confirme Anne-Marie Nordman. Par exemple, je travaille beaucoup avec l’hôpital Broca, qui monte des réunions mensuelles en gérontologie, où les orthophonistes ont leur place.» Peu à peu, la complémentarité s’instaure donc. «On tourne ainsi la page, estime Delphine B., par rapport à une vision très hiérarchisée de la médecine, où le médecin est au-dessus de tous, et les paramédicaux sont cantonnés en dessous, entre le médecin et la femme de ménage.»
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