IL Y A au départ un joyeux monôme aux accents clochemerliens : dans une commune du Lot, l’été 1934, une quinzaine de jeunes gens des deux sexes dansent « en maillot » et « en toute insouciance sexuelle ». Tempête dans un verre d’eau, sermons à l’église et intervention de la maréchaussée.
Mais le mal est fait, ou tout au moins avons-nous la révélation de ce que des corps, publiquement trop dévoilés, ont à nous dire, puisque, selon Christophe Granger, ils témoignent « des jeux et des enjeux sociaux qui ont travaillé ce siècle ». Fort opportunément, il rappelle que l’été fut longtemps une saison diabolisée, signifiant chaleur, puanteur et morbidité. Sous sa belle lumière se dissimulent microbes et épidémies. Elle est dure pour les pauvres travaillant dans la fournaise et la misère n’était pas moins pénible au soleil. Mais les beaux et riches jeunes gens vont éprouver dans leur nature tout ce que l’été a de jouissif pour qui est délivré de la nécessité.
Nature et culture.
C’est entre les deux guerres que s’invente un corps, une façon de l’éprouver avec intensité, de le mouvoir avec aisance, de le dévoiler sur les plages. Corps de saison et saison du corps sont autant nature que culture. Une abondante littérature encense ce corps pris d’une chaleur qui, abolissant toute lucidité, rend l’individu à lui-même, heureux mais stuporeux. Mais, très vite, s’introduit la règle du jeu. Pas question de trop se laisser aller, les classes privilégiées mettent l’accent sur le libre jeu du corps, cultivent l’altière fausse spontanéité qu’on trouvait dans les jeux champêtres snobs. Peu à peu, l’exhibition sur les plages se fait normative. Le corps y paraît, s’y montre et en même temps se livre curieusement au déni de l’érotisme. C’est là où il faut s’exhiber que les manifestations physiologiques sont les plus inconvenantes. Là où tout se montre qu’on ne doit rien voir.
L’exigence, à partir des années 1960, de corps harmonieux et minces, finit par codifier les attitudes et révéler les stratifications sociales. « Les corps d’été s’avancent ainsi sur la scène des styles de vie. En eux s’incarnent les valeurs sociales d’une élite sociale au détriment d’une autre », dit Granger. Jusqu’à ce que déboule sur la même scène ensablée une armée de beaufs ivres de « bronzer idiot » et que les belles élites aillent voir ailleurs, dans leurs îles luxueuses et protégées.
Une étude serrée, en définitive, mais un peu attristante. Ce qui nous semble le plus intime, notre corps, reste la proie des forces sociales qui veillent sur la plage ensoleillée.
Christophe Granger, « les Corps d’été - XX e siècle », Autrement, collection « Mémoires/Culture », n° 147, 18 euros.
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