CETTE FOIS, le coup est parti de la gauche, et il n'a pas échappé aux jeunes médecins, toujours vigilants et réactifs sur la question explosive de la remise en cause de la liberté d'installation.
Dans sa motion « Rassembler à gauche », qu'il défendra au prochain congrès du PS au Mans, Laurent Fabius propose de « réguler l'installation des médecins débutants » afin de garantir une présence médicale « plus équilibrée » sur l'ensemble du territoire. L'ancien Premier ministre, qui aspire à représenter les socialistes à l'élection présidentielle de 2007, juge la répartition actuelle des médecins « très inégalitaire », « un problème qui va s'aggraver à partir des années 2008 avec les départs massifs à la retraite de la génération ». Mais quand d'autres plaident pour des mesures incitatives, Laurent Fabius préconise un remède de cheval. « Nous proposons que, pendant les cinq premières années d'exercice de sa profession, tout médecin débutant soit tenu de respecter l'équilibre du territoire dans le choix de son lieu d'installation. » La mesure suggérée par la motion Fabius consisterait, à l'image de ce qui existe en Allemagne, à « refuser le conventionnement à l'assurance-maladie de tout médecin s'installant dans une zone bénéficiant déjà d'une présence médicale suffisante ».
Dans ce schéma, les pouvoirs publics interdiraient donc le conventionnement à un jeune praticien qui souhaite s'installer dans une zone où l'offre médicale est déjà satisfaisante. On pense, par exemple, à plusieurs départements du Sud où l'héliotropisme aboutit à des densités médicales élevées.
Un tel système signerait en tout cas la fin du conventionnement automatique des médecins libéraux à la Sécu et enfoncerait un coin sérieux dans le principe de la liberté d'installation, pilier de la médecine à la française (en théorie, un jeune médecin pourrait toujours s'installer dans un département très médicalisé, mais « hors convention » , ce qui paraît doublement dissuasif, puisque ses patients ne seraient pas remboursés dans un secteur déjà concurrentiel).
Pousse-au-crime.
Dans un contexte de démographie médicale déclinante, où risquent d'émerger des déserts sanitaires, la motion Fabius rouvre, à la hache, le débat sur le degré de contrainte que la puissance publique pourrait imposer (demain, dans quelques années ?) aux médecins libéraux pour tenter de garantir un égal accès aux soins.
Du côté des praticiens installés, quelques rares syndicats ont amorcé cette réflexion, quitte à jeter le trouble au sein de la profession. Le Dr Dino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), expliquait récemment dans nos colonnes (« le Quotidien » du 13 septembre) qu' « 'on ne peut imaginer qu'il n'y ait pas, à un moment ou à un autre, une nécessité de régulation des installations ». Il évoquait déjà le conventionnement sélectif dans les zones où les médecins sont nombreux, en concluant : « Je ne dis pas que c'est ce que je souhaite, mais je dis que c'est ce qui arrivera. »
En matière de démographie, Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a toujours affirmé qu'il excluait toute remise en cause de la liberté d'installation et qu'il s'en tenait à des mesures incitatives. Suffisamment « fortes », espère-t-il, pour garantir une présence médicale dans les zones rurales et les quartiers difficiles . A la fin de septembre encore, lors de l'université d'été de la Csmf à Ramatuelle (Var), le ministre a dit « refuser la coercition et les solutions faciles des pousse-au-crime ».
Jeunes généralistes : la « démagogie » de Fabius.
Du côté des internes, des remplaçants et des jeunes médecins qui visseront leur plaque dans quelques années, un éventuel tour de vis sur les modalités de l'installation est perçu comme un casus belli.
Le bureau du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg) se déclare « abasourdi par la démagogie » de la proposition de Laurent Fabius. Selon le Snjmg, une telle mesure serait de toute façon « totalement inefficace ». Le syndicat rappelle la diminution annoncée du nombre de médecins généralistes dans les prochaines années et les centaines de postes vacants en médecine générale en 2004 et en 2005 malgré la réforme de l'internat. « Veut-on encore aggraver cette situation en faisant tout pour dégoûter les jeunes médecins de la médecine générale ? », s'interroge le Snjmg. Matthieu Schuers, président de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), estime, lui aussi, que la proposition Fabius traduit une « méconnaissance totale des mécanismes de régulation de la démographie » car la « coercition » est « contre-productive ». Elle serait même absurde dans un contexte de démographie déclinante. « En Allemagne, la mise en place d'un seuil de saturation pour l'installation a abouti à 15 % de diplômés en moins », souligne Matthieu Schuers.
Il rappelle, enfin, que le rapport Berland sur la démographie avait établi que seules des dispositions incitatives seraient « efficaces ».
Les carabins en formation sont également sur le qui-vive. Instruit par le mode de régulation très encadré qui existe déjà chez les pharmaciens ( numerus clausus à l'installation en fonction du nombre d'habitants) , Laurent Carteron, vice-président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), espère qu' « on n'arrivera jamais chez les libéraux à des mesures aussi autoritaires ». Le débat vient en tout cas d'être ouvert par la motion Fabius.
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