C' EST à un chambardement législatif qu'appelle le Conseil national du SIDA (CNS) pour réduire les risques liés à l'usage de drogues.
« Alors que l'action répressive vise depuis trente ans à faire diminuer une demande de stupéfiants qui ne fait qu'augmenter », les réponses sanitaires des pouvoirs publics n'ont pas permis une prise en charge adaptée des toxicomanes, déplore le CNS. « En effet, commente sa commission Toxicomanies, qui s'est emparée de la question dans un rapport adopté le 21 juin et rendu public hier, le maintien de l'ambiguïté entre démarche de protection de la santé et répression de l'usage participe à entretenir un certain retard dans la réalisation d'objectifs ambitieux. L'illégalité des pratiques addictives incriminées accroît les facteurs de risque de dégradation de l'état de santé de leurs auteurs, notamment en ce qui concerne les infections virales (voir encadré) . Elle fait obstacle à leur prise en charge comme usagers ordinaires du système de soins. Elle contribue à la frilosité "des autorités sanitaires" en matière d'expérimentation de nouveaux dispositifs de réduction des risques. »
La prévention sans cohérence
Par ailleurs, elle explique le « manque de cohérence de la prévention primaire et secondaire ». Et pour être encore plus clair, plus direct, le CNS affirme que la loi de 1970 (relative aux « mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses ») « a constitué un facteur déterminant des cloisonnements des interventions, entretenant le maintien d'appréciations erronées sur les comportements des usagers de drogues ».
Or le Conseil national du SIDA considère que « l'incrimination de la consommation de drogue et de ses actes préparatoires, sans référence à la situation personnelle des usagers ni aux caractéristiques de leurs comportements, est susceptible d'exercer une influence négative sur la préservation de la santé des individus lorsqu'elle donne lieu à confrontation avec les forces de l'ordre ou à sanction pénale, ce qui est encore le cas pour une grande partie des usagers. Plus encore, en ne ciblant pas les situations à risque, l'incrimination de l'usage est susceptible de compromettre partiellement les efforts de santé publique en orientant les attitudes des individus ». Médecins du Monde, et le
Dr Bernard Kouchner ne disent pas autre chose depuis des années. Aussi, l'actuel ministre délégué à la Santé pourrait ne pas laisser sans suite l'étude du CNS, riche en recommandations, si l'élection présidentielle lui en donne le temps ou l'occasion.
Fort de son diagnostic, le CNS préconise un remède de cheval, au nom de la santé publique. La mesure phare en est la suppression de toute poursuite judiciaire liée à l'usage ; un toxicomane, pour l'instant, est passible
d'un an de prison et de 25 000 F (3 450 euros) d'amende. Et il faudrait que le législateur inscrive dans le droit l'impossibilité d'interpellation des usagers de drogues en raison de détention de matériel d'injection.
Pour le CNS, le maintien des dispositions législatives ayant trait à l'obligation de soins « ne paraît pas nécessaire ». En revanche, tout toxicomane « dont la participation à des faits de consommation collective aura été constatée », doit être signalé à la DASS « par les autorités judiciaires ou administratives compétentes » ; et lorsque l'usager concerné « s'oppose ou se soustrait aux mesures médicales et sociales d'examen, de traitement ou de surveillance, il relève, comme les "alcooliques dangereux", des peines contraventionnelles prévues par le code pénal ».
Les sanctions visant les toxicodépendants auteurs d'infractions continuent, quant à elles, d'obéir « au principe général de la nécessité des peines prévues par la loi ». Le CNS recommande que la législation « rappelle explicitement la nature des distinctions établies entre usage, abus et dépendance aux drogues licites et illicites, afin d'offrir aux personnels de justice le soutien de l'expertise médicale et d'enquête sociale, même dans le cas de trafic ».
A cela s'ajoute toute une série de suggestions plaçant l'usager de produits psychoactifs au cur de la prise en charge sanitaire. A propos de la réduction des dommages sanitaires par les produits de substitution, il est impératif, souligne le CNS, que des clarifications légales soient apportées quant aux conditions de l'exercice médical, sachant que nombre de procédures judiciaires sont engagées à l'encontre de médecins et de pharmaciens pour délivrance de médicaments de type méthadone ou Subutex.
Un patient à part entière
Le CNS préconise la mise en uvre rapide, à titre expérimental, d'un ou de plusieurs programmes de remise d'héroïne dans un cadre médical. La distribution contrôlée de ce stupéfiant « doit favoriser l'entrée en contact avec les usagers de drogues opiacées les plus marginalisés ». La multiplication de « salles d'injection à moindre risque », sous l'autorité de personnes qualifiées, serait utile, tandis que les programmes d'échange de seringues, les lieux d'accueil pour les plus précarisés parmi les toxicomanes et les dispositifs mobiles devraient couvrir la totalité du territoire. Enfin, le CNS, tout en considérant que la lutte contre la provocation à l'usage de produits illicites se justifie pleinement, propose que la formulation de l'article L 3421-4 du code de la santé relative à la présentation de l'usage de drogues « sous un jour favorable » soit abandonnée, car elle est « de nature à entraver les efforts en matière de prévention ».
Au total, dans l'esprit du Conseil national du SIDA, il ne saurait être exigé des médecins qu'ils assument quelque fonction d'auxiliaire de police ou de justice dans la lutte contre le trafic des stupéfiants. Et quel que soit le regard porté sur la consommation de stupéfiants, il convient de « reconnaître à l'usager de drogues, en tant que sujet de droit, un statut de patient à part entière ». Le stéréotype du « toxicomane-délinquant » a vécu.
Quelques chiffres
. De 140 000 à 176 000 personnes sont des consommateurs d'opiacés « en état de vulnérabilité ». En majorité, il s'agit d'hommes, sans insertion professionnelle (70 %), anciens détenus (60 %), âgés de 28 ans en moyenne. Cette population d'usagers de drogues par voie intraveineuse compose entre 70 et 77 % de la clientèle des structures d'accueil et de soins. Ils sont exposés à des risques multiples, dont un facteur de surmortalité compris entre 3,5 et 10 par rapport à des non-toxicomanes du même âge ; chez les femmes, le risque de décès est 30 fois plus élevé.
Dans cette population, la prévalence du VIH serait aujourd'hui de l'ordre de 15 à 20 % et la part de personnes ayant développé la maladie au stade SIDA de 16 % pour la période 1998-2000.
En outre, 5 % environ des usagers de drogues par voie injectable sont touchés par une forme chronique d'hépatite B, le VHC en affectant 60 %. Et 73,5 % des sujets présentant une sérologie positive au VIH sont infectés, également par le VHC.
En 1999, quelque 80 000 infractions à la législation sur les stupéfiants relatives à leur usage ont été constatées. Les usagers interpellés le sont en moyenne 1,3 fois et de 50 à 60 % sont des sans-emploi. En l'absence d'autre infraction, seulement 12 à 13 % sont déférés aux parquets, et à leur tour les services judiciaires ne poursuivent au chef d'usage de stupéfiants que 16 % des contrevenants adressés.
. Les prisons françaises comptent parmi leurs détenus entre 20 et 65 % d'usagers de drogues licites et illicites, dont au moins de 15 à 20 % de toxicomanes par voie intraveineuse. A Fleury-Mérogis, en 1996, 21 % des détenus se trouvaient derrière les barreaux pour infractions à la législation sur les stupéfiants. Le Conseil national du SIDA propose qu'en cas d'impossibilité de prise en charge d'usagers de drogues incarcérés au moyen de médicaments de substitution adaptés aux besoins, la loi envisage le recours à des praticiens extérieurs.
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