MICHEL ROUGER, 78 ans, a été nommé président du Conseil de modération et de prévention (CMP) de l’alcool, par arrêté du Premier ministre paru au « Journal officiel » du 3 juin. Ancien transporteur routier, devenu dans les années 1990 président du tribunal de commerce de Paris, ce Charentais d’origine se voit attribuer des «qualités de médiateur et de négociateur, dans un domaine où les débats seront assez manichéens», dit au « Quotidien » le Dr Alain Rigaud, alcoologue, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa).
Le CMP se veut un lieu «de dialogue et d’échange, qui ne se substitue pas aux instances qualifiées en santé publique ou en politique agricole». Il «assiste et conseille les pouvoirs publics dans l’élaboration et la mise en place des politiques de prévention» (décret du 15 février). Il sera consulté notamment sur les projets de campagne de communication publique ainsi que sur les textes législatifs et réglementaires. Il formulera également des avis sur les usages et les risques liés à l’alcool. Mais pour l’Anpaa, qui comptera un représentant parmi ses 32 membres aux côtés des producteurs de boissons alcooliques, il ne répond «à aucune nécessité dans le champ de la santé publique».
Un règlement intérieur attendu.
Déjà privé de la Fédération française d’addictologie, de la Société française d’alcoologie et de la Fédération de l’alcoologie et de l’addictologie, le CMP s’apprête à affronter la houle. Pour nombre d’alcoologues et d’addictologues, il n’est pas question d’embarquer sur le CMP, par crainte d’être la caution de l’entrisme des alcooliers et des viticulteurs en particulier. Ils feront partie de l’équipage au même titre que l’Ordre, l’Académie de médecine, la Société française de santé publique, la prévention routière, l’Anpaa, les grandes administrations et les parlementaires (4 députés, 4 sénateurs).
Pour la filière viticole, le vin est un produit naturel, qui fait corps avec l’histoire du pays et la gastronomie, à consommer avec plaisir, et elle néglige sa nocivité. En outre, les vignerons ne cachent pas leur objectif de contrôler en amont les campagnes de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, placées sous l’égide de la Direction général de la santé. Or les deux tiers des patients soignés pour des problèmes d’alcool sont dépendants du vin, lequel entre pour les trois cinquièmes dans la surconsommation d’alcool. L’Anpaa laisse entendre qu’elle quittera le navire si le règlement intérieur du CMP ne prend pas en compte les quatre points suivants : l’alcool, consommé de manière excessive, est une molécule psychoactive et addictogène ; associer la modération au seuil de risque fixé par l’OMS, soit trois verres quotidiens pendant vingt et un jours par mois pour les hommes et deux pour les femmes ; emprunter aux expertises collectives de l’Inserm ; et écarter «toute fausse barbe» au sein du Conseil, du genre Entreprise et Prévention, placé sous la houlette, entre autres, de Pernod Ricard et des brasseurs.
A propos de modération, l’Anpaa n’exclut pas de saisir la justice. «Une telle notion, introduite dans le message “A consommer avec modération”, souvent associé à tort à la mise en garde légale “L’abus d’alcool est dangereux pour la santé”(loi Evin), est illicite en raison même de son imprécision», affirme-t-elle. Xavier Bertrand, qui a consulté les acteurs de la santé, assure que le CMP ne sera pas bloqué par un hypothétique droit de veto ou de contrôle accordé aux viticulteurs. Par ailleurs, ses avis ne feront pas l’objet d’un vote.
Lors du prochain – et dernier de son mandat – entretien télévisé du 14 juillet, Jacques Chirac pourrait faire allusion à l’abus d’alcool sans ménager le vin, comme le souhaitent certains. Mais rien n’est sûr, d’autant que le président aimerait annoncer par anticipation l’interdiction de fumer dans les bars et les restaurants. Alors, pourquoi prendrait-il le risque de mécontenter dans le même temps les viticulteurs ?
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