L’AFFAIRE POURRAIT FAIRE grand bruit dans le microcosme syndical. Saisi le 20 mai 2003 par la Fédération nationale « Familles Rurales » d’une plainte concernant des «pratiques de dépassements de tarifs conventionnés de la part de médecins spécialistes», le conseil de la concurrence, organisme administratif indépendant, a décidé trois ans plus tard d’instruire ce dossier. Un rapporteur a été désigné le 6 novembre 2006 pour procéder aux investigations nécessaires dans les conditions prévues par le livre IV du code de commerce (relatif à la liberté des prix et de la concurrence). Selon nos informations, plusieurs responsables syndicaux de tout premier plan sont d’ores et déjà convoqués à audition. Les Drs Michel Chassang et Jean-François Rey, respectivement président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) et président de l’Umespe, sa branche spécialiste, seront entendus la semaine prochaine. Les Drs Dinorino Cabrera et Jean-Claude Régi seront également auditionnés en qualité de présidents du Syndicat des médecins libéraux (SML) et de la Fédération des médecins de France (FMF). Le conseil de la concurrence veut aussi entendre le président du Syndicat national des pédiatres français (Snpf, adhérent de l’Umespe). Plusieurs autres responsables de « verticalités » (syndicat représentant telle ou telle discipline) devraient être invités à apporter des éléments utiles à l’instruction.
Application élargie mais légale du DE.
Contacté par « le Quotidien », le rapporteur chargé de ce contentieux au conseil de la concurrence n’a pas souhaité commenter «une affaire en cours d’instruction».
Mais la plainte de « Familles Rurales » (mai 2003) s’inscrit dans une période particulière de la contestation syndicale, lorsque plusieurs organisations réclamaient à cor et à cri une «soupape» de liberté tarifaire pour les spécialistes après des années de blocage des honoraires depuis 1995. Dès 2001, la Csmf, le SML puis la FMF avaient appelé les spécialistes à une pratique «élargie» du droit à dépassement pour exigence particulière du patient de temps et de lieu (DE). Ce mouvement de constatation tarifaire avait pris des formes extrêmement diverses (dépassements au-delà d’un seuil d’activité hebdomadaire, en respectant certaines plages horaires spécifiées, au-delà des heures d’ouverture, en cas de télétransmission, « mercredis » du DE…).
Dans ce genre de bras de fer entre caisses et médecins, les syndicats nationaux prennent en général grand soin de ne donner aucune «consigne tarifaire» précise qui consisterait à appeler les praticiens à facturer systématiquement un dépassement des tarifs conventionnés, que ce soit pour les consultations ou les actes techniques. Les coordinations ou les spécialistes regroupés au sein d’associations loi 1901 ne s’encombrent guère de ces précautions et exhortent volontiers leurs adhérents à facturer des dépassements systématiques. «C’est 30euros au minimum la consultation», témoignait dans nos colonnes un spécialiste membre d’une association loi 1901, le 24 octobre 2002. Et c’est précisément parce que les mots d’ordre des syndicats traditionnels sont jugés trop timorés que surgissent des mouvements jusqu’au-boutistes.
L’instruction devra montrer si, dans le contexte de guérilla tarifaire de l’époque (avec parfois la bienveillance des caisses primaires en période de négociation conventionnelle), certains syndicats ont franchi la ligne jaune ; et en particulier si des consignes locales débordant le cadre légal de l’application des dépassements tarifaires ont été lancées (communiqués au logo de tel ou tel syndicat, par exemple).
Les syndicats sereins.
En attendant de prendre connaissance du fond du dossier, les syndicats prochainement interrogés par le conseil de la concurrence affichent leur totale sérénité. Le président du SML affirme être justement «très attentif» aux consignes données dans le cadre de l’utilisation du DE. «On n’indique jamais de tarifs pour éviter toute entente illicite, et surtout on rappelle le cadre légal du droit au dépassement dès lors que le patient formule une exigence particulière. Cela n’a rien à voir avec les mots d’ordre sauvages des coordinations.»
Jean-François Rey précise que le recours au DE avait été conseillé par l’Umespe «au-delà de plages d’activité de 40 ou 45 heures hebdomadaires» et après information des patients. «Je ne vois rien d’illégal, affirme-t-il . Ou alors il faut remettre en cause le système hospitalier où il y a des consultations publiques et des consultations privées à des tarifs différents.» Pour Michel Chassang, «cette affaire est la preuve que face aux “Y’a qu’à-faut qu’on” des coordinations qui nous demandent de faire n’importe quoi, les syndicats doivent garder une attitude responsable».
Tous les médecins peuvent bénéficier du dépassement pour exigence particulière du malade (DE). Il est lié aux circonstances exceptionnelles de lieu ou de temps dues à une exigence particulière du malade. Le médecin est tenu d’informer le patient du montant du dépassement et de lui en expliquer le motif. Il doit indiquer la mention DE sur la feuille de soins. Ce dépassement n’est pas pris en charge par l’assurance-maladie.
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