Par le Pr OLIVIER CUSSENOT*
CHAQUE ANNÉE, 10 000 hommes en France décèdent du cancer de la prostate. Ce qui représente 11 % des décès par cancer et place ainsi cette pathologie à la troisième place des mortalités par cancer, l'âge médian de décès étant (pour celle-ci) de 75 ans.
Si la notion selon laquelle le dépistage permet un diagnostic de la maladie à un stade précoce et mieux curable et, si, grâce à la généralisation du dosage sanguin du PSA, le mode de diagnostic s'est profondément modifié en quinze ans avec une division par trois du nombre de cancers localement avancés ou métastatiques (10 % des cancers nouvellement diagnostiqués), il n'en demeure pas moins que l'utilité réelle du dépistage systématique du cancer de la prostate n'a pas été démontrée et continue à faire l'objet de polémiques portées jusque dans les médias grand public (article du « Monde » du 12 juillet 2007). En effet, la stratégie de dépistage basée sur les outils actuellement à notre disposition (avant tout le dosage sanguin du PSA) a augmenté rapidement le nombre de cancers de la prostate diagnostiqués (8) (sans forcément identifier d'ailleurs tous les cancers « mortels ») et a induit le traitement inopiné de cancers qui n'auraient jamais été responsables du moindre symptôme au-delà de l'espérance de vie. En effet, les données obtenues à partir de séries d'autopsies montrent que des lésions avérées histologiquement de cancer de la prostate ont une fréquence de plus de 40 % après 50 ans. Ces observations, comparées à la prévalence des cancers mortels (moins de 5 % des hommes risquent de décéder d'un cancer de la prostate) ou qui entraînent des symptômes (moins de 10 % des hommes risquent d'avoir un cancer symptomatique) sont disproportionnées et suggèrent que la majorité des lésions cancéreuses prostatiques n'auraient pas de signification clinique et resteraient longtemps « indolentes ».
Le « sacrifice annuel » d'au moins 10 000 patients qui décèdent par absence de dépistage organisé du cancer de la prostate et l'altération de la qualité de vie iatrogène estimée à 10 000 patients/an suite à un surtraitement ne satisfont ni les médecins ni les patients qui soutiennent à travers diverses associations une attitude plus personnalisée. Cette personnalisation prône un dépistage qui a sa place au prix d'une évaluation critique des cancers diagnostiqués afin de discerner ceux qui ne relèvent pas d'un traitement immédiat ou agressif. Un des principaux critères de faible agressivité des cancers lors du diagnostic est le score de Gleason (A). Le bénéfice d'un traitement radical immédiat en terme de survie spécifique est de 0 %, 12 % et 26 % pour des cancers T1c (tumeurs localisées à la prostate, non palpables) de score de Gleason respectifs < 7, 7 et > 7. Dans ce contexte, la surveillance active devient une alternative pertinente, à condition de pouvoir la mettre en oeuvre correctement.
Les réticences avancées pour limiter la mise en oeuvre de la surveillance active sont avant tout le risque de sous-estimer la gravité de la maladie et de sortir de la fenêtre de curabilité. Un traitement trop tardif induirait alors une perte de chance de guérison.
La SA est proposée aux cancers dits à faible risque, définis par un score de Gleason < 7 (absence de grade 4 ou 5), un taux de PSA sanguin < 10 ng/ml, un stade clinique T1c et pour lesquels les biopsies prostatiques (B) (au moins au nombre de 12) n'ont retrouvé de la tumeur qu'au niveau de la moitié d'un lobe (5). Ces cancers représentent actuellement 30 à 50 % des nouveaux cas de cancer de la prostate diagnostiqués (49 % dans l'étude ERSPC : European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer) (7). Ils ont une probabilité de mortalité spécifique à 15 ans inférieure à 2 %. Aucun ne sort de la fenêtre de curabilité dans les 24 mois qui suivent leur diagnostic.
L'âge précoce, d'ailleurs souvent associé à des antécédents familiaux de cancer de la prostate ou du sein, n'est pas un facteur d'agressivité. A stade et grade égaux, le pronostic est le même quels que soit l'âge ou les antécédents familiaux de cancer.
Récemment, des variants génétiques ont été plus particulièrement associés aux cancers à haut risque. Leur prise en compte, dans un proche avenir, pourrait avoir un impact dans l'établissement des profils de risque individuels.
Le bilan initial doit permettre de classer correctement la maladie dans ce groupe à bas risque (tableau n°1). Les biopsies peuvent sous-estimer ou surestimer le grade et le stade dans 30 % des cas. Ainsi, la répétition des biopsies est proposée à un an, puis tous les trois ans (ou cinq ans) afin de « re-classifier » les malades.
L'utilisation de marqueurs « d'agressivité » n'est pas encore de pratique courante. Au niveau tissulaire, à côté du score de Gleason, la surexpression du récepteur des androgènes est un facteur de mauvais pronostic qui peut être facilement mis en oeuvre (1). Une attention particulière au taux de PSA sanguin doit également être portée afin de l'interpréter correctement et surtout de ne pas sous-estimer sa valeur réelle. La majorité des cancers de la prostate de haut grade, diagnostiqués avec un taux de PSA < 4 ng/ml, ont un déficit partiel androgénique (4). La sécrétion du PSA étant régulée par les androgènes, les patients qui ont un déficit androgénique partiel lié à l'âge ou un traitement de l'hypertrophie bénigne prostatique par inhibiteurs de la 5 alpha-réductase ont un taux de PSA abaissé proportionnellement à l'importance de leur déficit hormonal. Ce léger déficit susceptible de retentir sur l'interprétation du taux de PSA est également majoré par la surcharge pondérale (IMC > 25). Le déficit androgénique partiel a une prévalence clinique estimée entre 3 et 10 % entre 40 et 70 ans. S'il est suspecté cliniquement, il peut être évalué par le dosage de testostéronémie biodisponible.
Les progrès récents de l'imagerie, en particulier les nouvelles séquences d'IRM de diffusion prostatique (figuren°1) permettent dorénavant d'identifier des tumeurs intraprostatiques de score de Gleason ≥ 6 de plus de 4 mm avec une sensibilité et une spécificité d'au moins 80 % (2, 3). Cette notion suggère également que les meilleurs candidats à la SA seraient ceux pour lesquels l'imagerie n'identifie pas la tumeur dans la prostate.
Outre la répétition des biopsies prostatiques pour « re-classifier » les patients, l'évolutivité est appréciée par le temps de doublement du PSA qui doit rester supérieur à 3 ans. Il est alors recommandable de comparer les taux de PSA en dosant les sérums du moment et précédent en parallèle dans le même laboratoire. Le toucher rectal, les dosages du PSA sont ainsi réalisés tous les 6 mois. Si les patients sortent des critères de SA lors du suivi, un traitement curatif est proposé.
Plusieurs études ont montré que l'anxiété des patients en SA n'est pas supérieure à celle des patients suivis après traitement. Cependant, environ 10 % préfèrent interrompre la surveillance pour être traités. Le choix libre et éclairé des patient candidats à une SA nécessite une information dès la phase diagnostique, avant le résultat des biopsies, en explicitant que derrière le mot « cancer de la prostate » existent différentes entités dont certaines à faible risque évolutif qui ne relèvent pas obligatoirement d'un traitement immédiat et agressif.
* Service d'urologie, hôpital Tenon, Paris.
Pour en savoir plus : J.-M. Cosset, O. Cussenot, F. Haab, « Le Cancer de la prostate. Prise en charge de la maladie et de ses séquelles », Ed. John Libbey Eurotext, 2007.
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