POURVUE DÉJÀ d'une pile de rapports sur le chantier du dossier médical personnel (revue de projet, rapports Door et Gagneux…), Roselyne Bachelot attendait encore l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) avant de se prononcer sur les modalités de relance du DMP cette semaine. Or le CCNE (que la ministre de la Santé a saisi le 19 mars dernier) vient de dire «clairement non» à une diffusion généralisée du DMP sur le territoire national, a résumé son président, le Pr Alain Grimfeld. Le comité d'éthique ne remet pas en cause les économies attendues du DMP à l'origine. Pour le philosophe Pierre Le Coz, «ce n'est pas un objectif blâmable en tant que tel» dans un contexte de ressources disponibles limitées. En revanche, a-t-il ajouté, «le CCNE a été dans l'ensemble très perplexe, sceptique, sur les chances d'un DMP étendu à toute la population». Dans son avis, le comité d'éthique précise que «le DMP dans sa conception actuelle ne peut être adopté pour chaque citoyen à l'échelle nationale, dans la mesure où il ne répond pas aux objectifs poursuivis» (à savoir une meilleure coordination des soins, assortie d'une amélioration de leur efficience, de leur qualité, voire une diminution de leur coût), «alors que son coût de mise en oeuvre est très élevé».
Effets aléatoires.
Les résultats promettent d'être «assez aléatoires» pour plusieurs raisons, a expliqué Pierre Le Coz. La question du droit au masquage du patient tend à «affaiblir la motivation du médecin» à inscrire des informations dans le DMP. Quant à la motivation du patient, elle «peut être affaiblie par la méfiance» vis-à-vis des risques de violation de la confidentialité du DMP, d'indiscrétions de banques ou de compagnies d'assurances, quand bien même des garanties sont apportées en vue de la sécurisation des données de santé. En outre, Pierre Le Coz a pointé «l'inefficacité d'un dossier médical» tendant à occulter trois réalités : toute la population n'est pas connectée à Internet, elle a recours seulement occasionnellement au système de soins dans son ensemble et, enfin, la consultation d'un dossier informatisé ne saurait mettre entre parenthèses la phase d'échange clinique du médecin avec son malade.
Sans rejeter en bloc le projet DMP, le CCNE recommande par conséquent de limiter l'ouverture d'un DMP aux personnes volontaires et «atteintes de pathologies ou de handicaps au long cours» afin de «faciliter (leur) parcours de soins» faisant intervenir de nombreux professionnels. «Dans la mesure où les usagers du DMP seront uniquement des volontaires, la question relative au droit du masquage deviendra marginale», estime le CCNE.
Le Comité pose aussi les conditions suivantes : que les futurs détenteurs d'un DMP prennent conscience de l'intérêt d'y consigner des données exhaustives et qu'ils aient «la possibilité de n'en autoriser l'accès qu'aux personnes de leur choix» au moyen d'une clé d'entrée. Enfin, le CCNE propose à la ministre d'effectuer, avant toute extension nationale sur la base du volontariat, «une mise en place initiale dans des régions pilotes (...) avec une évaluation des résultats obtenus face aux objectifs poursuivis au bout de trois à cinq ans, et selon un ensemble de critères définis dès la mise en oeuvre de ce nouveau DMP».
Le rapport de la mission Gagneux avait déjà préconisé la suppression du caractère opposable du DMP pour tous les bénéficiaires de l'assurance-maladie. Le Conseil national de l'Ordre des médecins s'est «réjoui» de l'avis du CCNE car il «rejoint les propositions d'architecture exprimées par l'Ordre dans son Livre blanc sur l'informatisation de la santé». Le Syndicat des médecins libéraux (SML) trouve que cet avis «permet de recentrer le débat sur le DMP autour de ses véritables enjeux». Le SML souligne qu'il a toujours été partisan d'une «montée en charge progressive en commençant par les populations pour lesquelles il apparaît le plus utile, c'est-à-dire les malades chroniques et ceux en affection de longue durée (ALD) », qui représentent respectivement 15 et 8 millions de personnes. La décision concernant un changement de braquet pour la diffusion du DMP appartient maintenant à la ministre.
Pour en savoir plus : Avis n° 104 du comité d'éthique, www.ccne-ethique.fr.
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