L'ESSAI ANRS 1 265 (Agence nationale de recherche sur le sida) visant à évaluer l'effet de la circoncision sur le risque d'infection par le VIH vient d'être publié par la revue scientifique et médicale libre d'accès « Public Library of Science Medicine ». Annoncés l'été dernier (« le Quotidien » du 2 septembre), les résultats de ce travail franco-sud-africain suggèrent l'existence d'un effet protecteur, relatif mais significatif, de la circoncision : dans la cohorte étudiée par Auvert et coll., la circoncision a réduit de 60 % le risque d'infection par le VIH.
Au-delà du résultat obtenu, cette étude présente un intérêt particulier pour le milieu de la recherche biomédicale : pour arriver à leur conclusion, Auvert et coll. ont dû faire face non seulement à des difficultés d'ordre scientifique et pratique, mais aussi à d'importantes questions éthiques.
La manière dont cette étude a été conduite peut en effet paraître choquante (voir encadré). Recruter de jeunes hommes défavorisés qui vivent dans une région du monde où la prévalence du sida est exceptionnellement élevée, circoncire la moitié d'entre eux, au hasard, puis compter les séropositifs qui apparaissent dans les deux groupes ainsi formés : la méthode de travail ne semble pas acceptable. « Il est peu probable que cette approche serait tolérée dans un cadre plus développé », conclut d'ailleurs Nandi Siegfried (université d'Oxford, Royaume-Uni), dans un commentaire qui accompagne l'article original d'Auvert et coll. Pourtant, ces chercheurs ont osé la proposer. Et Peter Cleaton-Jones, président du comité d'éthique de la recherche médicale humaine de l'université de Witwatersrand (Johannesburg), et ses collègues ont décidé de l'approuver.
Les conditions locales.
« Dans un pays en développement, les décisions d'un comité d'éthique doivent s'appuyer sur la connaissance des cultures locales, des ressources et des services disponibles. Cela n'est pas toujours compris, ni accepté par les comités d'éthique et les chercheurs des pays riches », explique l'expert sud-africain dans un second commentaire publié par « PloS Medicine ». La tribune ouverte par les éditeurs de la revue lui permet de détailler les raisons qui ont conduit son comité à approuver le protocole d'Auvert et coll.
Cleaton-Jones insiste tout d'abord sur le fait que « le comité a cru à l'importance de cette étude ». Depuis 1986, plusieurs études ont suggéré que la circoncision pouvait limiter les risques d'infection par le VIH, mais elles se fondaient toutes sur des données d'observation. Il était donc impossible de savoir avec certitude s'il existait ou non un lien direct entre la circoncision et la diminution de la prévalence du sida. Or si ce lien est démontré, la circoncision pourrait prendre une place importante dans l'arsenal des méthodes utilisées pour lutter contre l'épidémie de sida dans les pays les plus défavorisés. Le seul moyen de tirer la question au clair était de réaliser une étude randomisée contrôlée, telle que celle proposée par Auvert et coll.
Concernant le choix de leur pays pour y conduire l'essai, les experts savaient que ce type d'étude ne peut avoir lieu que dans une région du monde où la prévalence du VIH est importante, faute de quoi des dizaines années de suivi sont nécessaires à l'obtention de données suffisantes pour conclure. Malheureusement pour sa population, l'Afrique du Sud répond à ce critère.
Concernant le détail du protocole, le comité a apprécié la démarche d'information précédant le début de l'étude. « Aucune fausse promesse qui pourrait avoir influencé (les participants) n'a été faite », souligne Cleaton-Jones.
Suivi et information.
Le recrutement de plusieurs milliers d'hommes souhaitant être circoncis n'était pas un problème en Afrique du Sud : la circoncision est un rituel pratiqué par de nombreuses cultures du pays. Et compte tenu des risques d'infection et d'hémorragie associés à la « chirurgie traditionnelle », de plus en plus d'hommes optent pour une circoncision réalisée à l'âge adulte et par un vrai médecin. Mais dans les milieux défavorisés, tous ne peuvent pas accéder à cette demande. Au cours de l'étude, tous les participants ont été circoncis gratuitement et dans de bonnes conditions d'hygiène, conformément à leur souhait.
Les participants ont en outre bénéficié d'un suivi médical régulier, de conseils individuels et d'une information spécifique sur le sida. On leur a expliqué l'intérêt de faire un test, mais on ne les a pas obligés à connaître leur statut sérologique. Au sujet de ce point très discutable du protocole, Cleaton-Jones explique qu'en Afrique du Sud les séropositifs sont particulièrement rejetés par la population et que, à l'époque, on ne pouvait pas les traiter (aucun antirétroviral n'était disponible dans le pays). Le comité d'éthique a jugé que, dans de telles conditions, une information sur la transmission du VIH et sur les moyens de s'en prémunir ayant été délivrée aux participants, il était « acceptable » qu'on les laisse choisir de ne pas savoir.
L'ensemble de ces considérations a conduit le comité à conclure que le protocole d'étude proposé par Auvert et coll. « combine les principes généraux de l'éthique de la recherche avec les conditions locales, de manière à permettre la mise en œuvre d'une étude très importante ». Cleaton-Jones ne regrette pas cette décision et espère que les résultats d'Auvert et coll. profiteront à la population sud-africaine.
« PLoS Medicine » de novembre 2005, accessible gratuitement en ligne sur plosmedicine.org.
Le protocole de l'étude
Auvert et coll. ont recruté 3 000 hommes âgés de 18 à 24 ans vivant dans une région urbaine et suburbaine défavorisée d'Afrique du Sud. Tous les hommes recrutés souhaitaient être circoncis. On les a informés sur la nature de l'essai. On leur a clairement expliqué que l'effet de la circoncision sur le risque de contracter une IST était inconnu. Les participants ont ensuite été répartis en deux groupes, par tirage au sort. Le premier groupe a été circoncis immédiatement, et on a expliqué aux membres du second groupe qu'on procéderait à leur circoncision à la fin de l'étude. L'ensemble des participants ont reçu une information sur les modes de transmission du sida et des autres IST, ainsi que sur les manières de s'en protéger. On leur a offert des préservatifs et on leur a demandé de revenir régulièrement pour un contrôle médical. Les participants ont reçu l'équivalent de 36 euros en compensation de leur participation à l'essai.
Au cours des visites de contrôle, le statut sérologique des participants était déterminé, mais le résultat des tests ne leur a pas été pas communiqué, sauf s'ils en ont fait la demande. Les participants contaminés n'ont pas été traités, puisque l'Afrique du Sud ne disposait alors d'aucun antirétrovirus. En revanche, ceux qui ont contracté d'autres IST ont été envoyés dans un dispensaire afin d'y recevoir un traitement approprié.
En 2004, lorsque le gouvernement sud-africain a décidé de changer de politique en rendant disponibles certains médicaments antirétroviraux, l'équipe française a tout mis en œuvre pour fournir cinq ans de traitement aux séropositifs qui avaient participé à leur étude.
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