LE CONFLIT a été révélé par le quotidien « le Monde » au mois de juin dernier. Une affaire de brevets qui oppose un chercheur, le Pr Paterlini-Bréchot, conceptrice, avec son équipe, d'un procédé original qui, à partir d'un échantillon de sang de quelques millilitres de sang, permet d'isoler une ou quelques cellules, et une société de biotechnologie, Metagenex chargée de valider et de valoriser les tests Iset (Isolation by Size of Epithelial Tumor Cells). Fondée sur l'utilisation de filtres comprenant des pores de faible dimension (8 microns), la méthode soulève des espoirs dans au moins deux domaines d'application pour lesquels des brevets ont été déposés : la détection et l'analyse des cellules potentiellement cancéreuses provenant de tumeurs solides situées dans différents organes et tissus ; la détection et l'analyse de cellules circulantes d'origine foetale et donc le diagnostic prénatal sans risque de fausse couche pour des maladies comme la mucoviscidose ou la trisomie 21.
Le conflit prend une tournure particulière en raison de la personnalité des protagonistes. Le Pr Paterlini-Bréchot est, en effet, la fondatrice de la Société Metagenex, à laquelle était associée son époux Christian Bréchot (alors directeur de l'Unité Inserm U370), qui s'est retiré peu de temps après la création en 2001, lorsqu'il a été nommé directeur général de l'Inserm.
«J'ai fondé la société pour faire avancer les recherches et les études de validation des tests que notre équipe a développés. Ce type de recherche est extrêmement coûteux», explique au « Quotidien » le Pr Paterlini-Bréchot. Une opération encouragée par les autorités de l'époque dans le cadre de la loi sur l'innovation. En 2006, la société fait l'objet d'une augmentation de capital avec l'entrée de nouveaux investisseurs. Les premières tensions apparaissent. La chercheuse dénonce aujourd'hui l'utilisation qui est faite du test Iset oncologie. La société a vendu une machine et a fourni des réactifs à un laboratoire privé d'analyse biologique et cytopathologique de ville : «J'ai su que le test non validé était vendu et appliqué à des sujets sans cancer lorsque des médecins sont revenus vers moi pour s'assurer que l'utilisation du test en dépistage était bien validée», indique-t-elle. Le test a été réalisé sur prescription médicale sur 200 patients avec cancer pour un prix d'environ 150 euros non remboursés par la Sécurité sociale.
«L'utilisation du test chez des sujets sans cancer est grave sur le plan éthique. Lors d'une réunion à l'Inca (Institut national du cancer, ndlr) , en novembre 2006, il avait pourtant clairement été dit que le test ne pouvait pas être utilisé pour le dépistage. Des études moléculaires et des études cliniques étaient nécessaires», souligne-t-elle. La chercheuse sollicite alors l'avis du comité d'éthique de l'Inserm (Ermes) et celui du Comité consultatif national d'éthique, tandis qu'une mission conjointe des ministères de la Recherche et de la Santé est mise en place.
Conséquences délétères.
L'Inserm est codétenteur du brevet via la société Inserm-transfert (créée pour gérer et valoriser les brevets et licences de l'Inserm par délégation de service public), avec l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), l'université Descartes (Paris-V).
Comme l'avis du Ccne rendu public cette semaine, il ne porte aucune appréciation sur les implications des personnes dans le conflit. Il s'agit d'un «problème essentiellement d'ordre juridique et soumis à un jugement par un tribunal», souligne le Ccne. En revanche, les sages ont souhaité donner un avis de portée plus générale sur les incidences de la mise sur le marché et de la réalisation de tests biologiques ou cytologiques. «Ces tests sont susceptibles, s'ils sont insuffisamment validés, de fournir des résultats difficiles à interpréter et qui pourraient comporter des conséquences éventuellement délétères pour la santé psychique et physique des sujets testés s'ils étaient étendus au dépistage», précisent-ils.
Tout comme le comité d'éthique de l'Inserm, le Ccne pose la question de la validation des tests même lorsqu'ils ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. Il demande que «l'évaluation par une autorité de santé (HAS, Afssaps ou Agence de la biomédecine) demeure un préalable à la commercialisation de tout test/procédé à but diagnostique, indépendamment de ses conditions de remboursement». A cet égard, il juge artificiel le clivage entre «diagnostic et traitement», car, souligne-t-il, «un diagnostic s'inscrit généralement dans la perspective d'une décision médicale, qu'il s'agisse d'une intervention à visée curative ou d'une abstention thérapeutique».
La situation est jugée d'autant plus «intolérable» – nombre de techniques diagnostiques non validées circulent sans aucune évaluation des agences de sécurité sanitaire – qu'il s'agit d'une maladie grave.
Par ailleurs, le comité d'éthique recommande que soit clairement identifiée la distinction entre recherche et soin, car, précise-t-il, «si des malades atteints de cancer peuvent consentir à une telle recherche, dans la mesure où l'encadrement oncologique très rigoureux qui l'accompagne leur donne le sentiment d'être associés à la recherche contre une maladie grave, il n'en est pas de même pour la population générale».
Une dérive contemporaine.
Que signifie la présence de cellules cancéreuses chez un sujet chez qui aucun cancer n'a encore été diagnostiqué, que faire des résultats ? Ne pas réfléchir à l'usage qui serait fait d'un résultat fût-il positif ou négatif d'un test est «une dérive contemporaine». Ce n'est «pas à la technique de dicter l'usage», insistent les sages.
Sur l'organisation de la recherche, s'ils trouvent légitime d'encourager la création de structures mixtes public/privé, ils rappellent que «la valorisation économique ne doit pas prendre le pas sur la valorisation en termes de santé». Ils souhaitent, à ce niveau également, qu'une autorité indépendante, la HAS ou l'Afssaps, puisse exercer un droit de regard.
Enfin, le Ccne s'exprime sur les conflits d'intérêts entre les inventeurs et les actionnaires : «La gestion de l'entreprise doit être indépendante des inventeurs-actionnaires afin de libérer ces derniers de toute suspicion de prise d'intérêt ambiguë.»
Quant au Pr Patrizia Paterlini-Bréchot, elle assure : «Mes motivations sont de développer des tests utiles au patient. Jamais je ne pourrais accepter que les fruits de mon travail les mettent en danger.» Pour l'heure, «les recherches sont arrêtées aussi bien dans le domaine de l'oncologie que dans celui du diagnostic prénatal. La mauvaise utilisation du test est une atteinte à l'intérêt du patient et à la science», conclut-elle.
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