L 'ARRET Perruche du 17 novembre 2000, du nom d'un enfant né lourdement handicapé en raison de la rubéole de sa mère non diagnostiquée lors de la grossesse, a donné lieu à une demande d'avis d'Elisabeth Guigou, le 15 mars, au Comité d'éthique sur trois questions : la place de l'enfant et de la personne handicapée dans la société ; la valeur intrinsèque d'une vie handicapée par rapport à une non-naissance ; et les bonnes pratiques médicales qui engagent la responsabilité des professionnels du diagnostic prénatal.
Pour les sages, la société a « un devoir impérieux de solidarité en faveur des personnes handicapées ». Ce devoir social doit s'appliquer « sans distinction à ceux qui en ont besoin, sans préjudice des circonstances à l'origine du handicap ».
Un devoir impérieux de solidarité sociale
Lorsque le handicap « peut être relié à une intervention humaine, sa prise en charge doit être assurée a priori, indépendamment d'éventuels recours judiciaires en réparation du préjudice à la demande des parents et, dans ce cas, de leur issue. Privilégier les situations où le handicap pourrait être attribué à une faute médicale et relever d'une responsabilité individuelle introduirait d'inacceptables discriminations entre les personnes handicapées. De plus, une telle position encouragerait la recherche systématique d'une responsabilité fautive, même invraisemblable, devant tout handicap, puisque ce serait là le seul moyen d'assurer l'avenir matériel de ces personnes ».
En ce qui concerne les handicaps congénitaux, « la solidarité sociale doit être garantie de telle sorte que la décision de la mère, mise au courant du risque de naissance d'un enfant handicapé, ne dépende que de son appréciation personnelle (...) et non pas des difficultés matérielles d'accueil et de soins qu'elle et son conjoint auraient à affronter sans disposer de l'aide nécessaire et possible ». Or, selon le comité, il y a urgence à combler le déficit en places d'accueil dans des structures spécialisées, notamment pour les 2 millions de personnes dont la déficience, acquise ou congénitale, et l'incapacité engendrent un handicap sévère. Quant au montant mensuel de l'allocation offerte à la famille d'une personne atteinte d'un handicap profond, recevant des soins continus de l'un de ses parents ou d'un tiers, environ 6 600 F, il « est très insuffisant pour couvrir à la fois l'investissement en temps d'une personne aidante et les multiples frais engagés ». L'arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation dans l'affaire Nicolas Perruche a conclu à la nécessité d'indemniser un enfant handicapé profond, afin de le mettre à l'abri de difficultés matérielles, en particulier en cas disparition de ses parents. « C'est donc la question plus générale de l'insertion et de la qualité de vie des personnes handicapées qui est soulevée par cette décision », commente le comité.
La liberté de choix
En ce qui concerne le lien de causalité entre une erreur diagnostique et la situation de Nicolas Perruche qu'ont établi les magistrats de la haute juridiction, le comité n'est plus d'accord. « Une intervention thérapeutique prénatale sera peut-être possible un jourgrâce au développement des traitements géniques, chimiques ou chirurgicaux in utero. Cependant, aujourd'hui, cette hypothèse demeure largement théorique : lorsqu'un test diagnostique détecte une rubéole maternelle, un désordre génétique ou un syndrome malformatif fœtal, seule l'interruption médicale de grossesse, qui n'est pas un traitement du fœtus, permet d'éviter la naissance d'un enfant handicapé. »
De toute façon, poursuit le comité, « le handicap lui-même n'a aucun lien causal avec la faute professionnelle, il est dû à l'infection maternelle ». Aussi, « indépendamment du préjudice subi par les parents, qui peut légitimement donner droit à réparation, la reconnaissance de la responsabilité des professionnels conduit à la déduction qu'il eût mieux valu que l'enfant ne naquît pas, voire qu'il avait un droit à ne pas naître handicapé, compte tenu de la piètre qualité de la vie qui lui est imposée ».
« En aucun cas l'établissement de critères normatifs définissant par eux-mêmes un seuil de gravité justifiant l'élimination des fœtus anormaux ne serait acceptable au regard d'une réflexion éthique fondée sur la liberté du choix de personnes responsables et dignes », conclut le Comité d'éthique.
Pour le sénateur Henri Caillavet, militant actif de la dépénalisation de l'euthanasie, qui a apporté sa contribution à l'avis du comité, qu'il ne partage pas, « la novation juridique » dans l'affaire Perruche tient à la demande du « paiement de l'indu » par la Caisse d'assurance-maladie. « Par son intervention dans le procès, dit le parlementaire, la Sécu admet qu'un enfant a donc un droit à ne pas naître handicapé. » Il ajoute que « si ce droit à ne pas naître handicapé n'était pas pleinement reconnu par le droit positif français, il nous faudrait refuser, interdire à une personne - heureusement ce n'est pas le cas -le droit de se modifier physiquement ». A l'inverse, pour le Collectif contre l'handiphobie, qui s'est constitué pour dénoncer l'arrêt Perruche, l'avis du comité d'éthique va dans le bon le sens, c'est-à-dire le sien.
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