LE TEMPS DE LA MEDECINE
GILLY-SUR-ISERE, octobre 2001. Des taux catastrophiques de dioxine sont retrouvés dans le lait des vaches qui pâturent à proximité d'un incinérateur d'ordure très polluant : le lait d'une vache âgée est même porteur de 70 picogrammes (pg) par gramme de matière grasse et celui, mélangé, provenant d'un troupeau de 20 vaches, atteint 24 pg, alors que les normes situent à 5 pg le seuil au-delà duquel le lait doit faire l'objet d'un retrait. Six cents vaches devront être abattues. Le coût de cette crise représentera deux fois le prix d'une installation d'incinération conforme aux normes. L'affaire de Gilly, pour les professionnels du Cniel (Centre interprofessionnel de documentation et d'information laitières), reste la dernière grande crise sanitaire en date. Une crise que les professionnels ont d'autant plus mal vécue que, souligne Koenraad Duhem, directeur de la recherche-développement du centre, « nous sommes en présence d'un problème de sécurité environnementale avant qu'il ne s'agisse d'un problème de sécurité alimentaire. Quelle que soit notre bonne volonté, nous ne pouvons pas gérer les défaillances des métallurgistes ou des incinérateurs d'ordures. Nous, au mieux nous filtrons les polluants, au pire, nous les concentrons, tandis que ceux-ci ont vocation à diluer la pollution dans l'environnement ».
L'affaire Gilly a eu l'effet d'un électrochoc : 55 installations semblables ont été fermées dans les douze mois qui ont suivi. Mais l'exception française en la matière perdure : les incinérateurs émettent toujours dix à fois vingt fois plus de dioxines qu'en Allemagne, en Suède ou au Danemark. La France doit avoir rattrapé son retard en 2006, à en croire les responsables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), en application des nouvelles normes européennes.
A la merci d'un nouvel accident.
D'ici là, le lait, au grand dam de la filière, continue d'être considéré comme le marqueur dioxine le plus usité. Les industriels multiplient les autocontrôles, cependant que les plans de surveillance de l'administration veillent aux picogrammes. En l'état, le risque dioxine est maîtrisé, estime M. Duehm, sans dissimuler qu'on est toujours à la merci d'un nouvel accident. « Certes pas un Gilly bis, précise-t-il, mais l'arrêt et le redémarrage d'un incinérateur peuvent se traduire par de brusques montées d'émissions. Et comme les prochaines directives européennes feront le compte à la fois des PCB et des dioxines, on pourrait être parfois borderline . »
Tout ça pour un risque sanitaire dont l'impact en santé humaine n'est toujours pas clairement connu. Président du comité dioxine à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), le Pr Jean-François Narbonne se félicite qu' « après des années d'atermoiement, les bases scientifiques de la première grande étude épidémiologique sur le sujet viennent enfin d'être ratifiées par l'Institut de veille sanitaire (InVS). Si tout va bien, précise-t-il au "Quotidien", on pourra disposer à la fin de 2006 des premières données d'imprégnation sur l'ensemble de la population ».
En espérant qu'elles vérifieront les évaluations avancées par l'étude Afssa-Cshpf (Conseil supérieur d'hygiène publique de France) de 2000, qui chiffrait l'exposition moyenne des Français à 1,3 pg/kg de poids corporel/jour, largement au-dessous du seuil maximal de 4 pg/kg/j, guère plus de la valeurs recommandées par l'OMS, soit 1 pg/kg/j.
La France hors de la zone de turbulence.
L'autre grand souci des professionnels du lait s'appelle Listeria monocytogenes. Quelques affaires ont défrayé la chronique. La dernière remonte à octobre et novembre 2001, avec quatre cas groupés survenus chez des femmes enceintes, dont l'une a eu un enfant mort-né. Des fromages au lait cru étaient incriminés, tout comme en 1999, année où onze signalements avaient été regroupés de la même manière.
Depuis ces deux affaires, la France semble être sortie de la zone de turbulence épidémique.
La responsabilité de la filière n'est pas seule en cause, puisque distributeurs et consommateurs peuvent être aussi fautifs en ne respectant pas la température maximale de conservation (4 degrés). Les mesures réglementaires sont drastiques. D'une manière générale, les textes en vigueur imposent l'absence de tout germe pathogène dans les produits destinés à l'homme. Au stade de la fabrication, l'absence de Listeria monocytogenes doit être vérifiée dans 25 g de fromage. A la distribution, le critère de 100 bactéries par gramme constitue le seuil maximal admissible, quel que soit le produit (avis du Cshpf).
Chaque année, les services vétérinaires départementaux procèdent à de nombreux prélèvements chez les fabricants de produits laitiers, dans le cadre des contrôles systématiques (15 059 en 1999).
La direction générale de l'Alimentation (Dgal, ministère de l'Agriculture) applique de surcroît des plans de surveillance spécifiques. A ces procédures administratives s'ajoutent les autocontrôles. Ils se déroulent à la ferme, aussi bien pour Listeria que pour Escherichia coli, Salmonella spp, Staphylococcus aureus, toutes ces bactéries qui peuvent provenir de la vache lorsque son alimentation est contaminée, comme d'une contamination accidentelle au cours du processus de transformation. Les laboratoires interprofessionnels effectuent 26 millions d'analyses chaque année sur les échantillons de lait prélevés dans les fermes. Si on y ajoute les quelque 60 millions d'analyses réalisées dans le cadre du contrôle laitier, on aboutit à une moyenne annuelle de 207 analyses par exploitation agricole.
Les germes ne sont pas seuls à faire l'objet de ces procédures. Les résidus chimiques sont aussi recherchés, même si la mamelle de la vache est souvent un filtre efficace. Parmi les pollutions les plus surveillées, une attention particulière est portée au plomb, qui peut contaminer l'eau, les aliments ou les peintures des étables. Les plans de surveillance annuels sont activés par la Dgal, qui s'assure d'une teneur inférieure au seuil de 10 μg par kilo. Pour le cadmium, qui peut être contaminant via les engrais phosphatés ou les boues résiduelles, l'OMS a fixé la dose hebdomadaire tolérable à 7 μg par kilo de masse corporelle chez l'adulte. Des plans d'échantillonnages sont menés par la Dgal, dont les derniers résultats indiquent une teneur de 2 μg par kilo de lait.
D'autres plans de dépistage sont diligentés pour surveiller les résidus des pesticides, des antibiotiques, des aflatoxines ou des radionucléotides.
Au total, les 22,5 milliards de litres de lait (chiffre 2001) qui sont traits annuellement dans les 131 000 exploitations françaises ne subiront pas moins de 86 millions d'analyses. Pas seulement pour s'assurer de la qualité sanitaire, mais aussi pour vérifier les critères de composition nutritionnelle qui permettent de situer la richesse d'un lait par rapport à des taux de référence (38 g/l pour la matière grasse et 32 g/l pour la matière protéique).
En foi de quoi, 96 % de la production française bénéficie du classement en catégorie supérieure.
Mais le combat n'est pas fini. Les consommateurs se polarisent depuis quelques années sur un nouveau critère de qualité sanitaire : avec ou sans OGM. Or, l'herbe des pâturages est un mélange de graminées (fléole, ray-grass, dactyle) et de légumineuses (luzerne, trèfle, sainfoin), avec des glucides, des sels minéraux (calcium, phosphore, sodium, potassium, magnésium), des protéines, un peu de matière grasse... Et des OGM. Aujourd'hui, malgré les attentes exprimées par les consommateurs, le lait garanti sans OGM reste à inventer.
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