«TOUS LES JOURS, il faut se battre pour des patients rejetés du système de soins », constate le Dr Françoise Roubaud, généraliste depuis trente-trois ans à Châteauneuf-lès-Martigues (Bouches-du-Rhône), une cité dortoir de 10 000 habitants à une trentaine de kilomètres de Marseille. Et militante du Secours populaire. « Par exemple, raconte-t-elle, cette femme de 50ans, ancienne chef d'entreprise qui a tout perdu et qui vit avec 500euros, sans bénéficier de la CMU; elle est atteinte de dépression sévère. L'hôpital psychiatrique lui a proposé un rendez-vous dans trois mois et la CMP dans deux mois. Quant aux psychiatres libéraux, ils sont tous en secteurII et ils refusent de la recevoir. Je dois improviser sans cesse des parades thérapeutiques. Pour cette autre patiente, une retraitée qui souffre de fibrillation auriculaire, faute de trouver un cardiologue qui l'accepte, je n'ai pas eu d'autre ressource que de la faire hospitaliser.»
«Pour beaucoup de ces patients, déplore la généraliste, la santé vient après l'urgence de trouver un toit et de se nourrir. Dans ces conditions, faire de la prévention, que ce soit dans le domaine bucco-dentaire, contre le sida ou pour les vaccinations, c'est mission impossible. Ne parlons pas de l'éducation à l'hygiène alimentaire et de la multiplications des cas d'enfants obèses!»
«Le boulot, confie encore le Dr Roubaud, est énorme. Je suis débordée, parfois je ne peux plus assumer. Bien sûr, il y a la CMU et l'AME, mais tant de patients ont besoin d'être pris par la main pour être remis dans le circuit, effectuer les formalités et renouveler leurs démarches chaque année! À cette prise en charge du quotidien s'ajoutent des événements lourds à accompagner. Comme cette grève de la faim de réfugiés kurdes, installés dans une église avec une vingtaine d'enfants et une épidémie de gastro qui menace.»
Tri des médicaments prescrits.
Dans les années 1990, l'équipe locale du Secours populaire avait monté une structure de soins. «Mais on a préféré arrêter plutôt que de continuer à bricoler sur un coin de bureau», explique le Dr Roubaud, qui se démène depuis des années avec une quinzaine de bénévoles pour distribuer l'aide alimentaire, les jouets, gérer le vestiaire et envoyer les enfants aux centres aérés.
Installée à Lyon dans le quartier populaire de la Duchère, le Dr Jacqueline Bosle, autre médecin militant de l'association, décrit une situation tout aussi dégradée : «Je vois de plus en plus de gens qui n'ont pas les moyens de se soigner. Ils renoncent à faire les examens prescrits même quand ils disposent d'une mutuelle, car ils ne peuvent pas avancer l'argent. D'autres font le tri sur les médicaments inscrits sur l'ordonnance et demandent au pharmacien de ne leur délivrer que les deux produits les plus indispensables.»
Le Dr Bosle a accompagné ces derniers mois quatre grèves de la faim de sans-papiers. Un engagement qui lui vaut pas mal de critiques localement. «J'ai l'habitude, confie-t-elle. Comme féministe, j'ai dû faire face à des mises en cause semblables à propos de la contraception, de l'avortement, ou encore pour la prise en charge des toxicomanes.»
Comme en écho, le Dr Roubaud revendique son exercice militant comme «le prolongement naturel» de sa vocation de médecin. En tant que responsable nationale de la commission santé du Secours populaire, elle est à l'origine de l'alerte que lance aujourd'hui l'association. «C'est un pavé dans la mare, dit-elle. L'opinion doit se mobiliser. Sinon, la situation va empirer. Dans ma ville, sur les dix généralistes qui exercent aujourd'hui, six seront à la retraite dans cinq ans avec peu de chances d'être remplacés. Le désert médical gagne les villes et touche de plus en plus de démunis. Mais les patients ont des limites.»
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