ELLE S'APPELLE Sabine et elle est l'une des soeurs de Sandrine. Sandrine Bonnaire, la comédienne. Sabine a 38 ans et est autiste. En 2001, le diagnostic a précisé qu'elle était atteinte de «psychose infantile avec des comportements autistiques». Sandrine et Sabine ont un an d'écart. Sandrine, comédienne révélée par Maurice Pialat en 1988, est passée cette fois derrière la caméra pour filmer pendant plusieurs mois la vie de sa cadette dans un centre d'accueil en Charente.
Petite, Sabine a vécu chez ses parents, au sein d'une grande fratrie. Elle a d'abord été scolarisée dans une école pour enfants handicapés mentaux. «Elle était vive, joyeuse et pleine de capacités», raconte son aînée. Elle savait lire et écrire. Aussi ses parents l'inscrivent-ils, en accord avec l'établissement spécialisé, dans le même collège que leurs autres enfants.
Le regard des autres.
Sabine se parle à elle-même, rit parfois toute seule dans son coin et répète les mêmes phrases en boucle. Ses comportements, «un peu décalés», provoquent le rire des autres élèves. Elle devient alors agressive, se mord, se griffe le visage, se déshabille dans la cour de récréation. «Sa violence est apparue à cause du regard des autres, car elle était très consciente de cette moquerie.» Sabine devient «Sabine la folle». «Pendant longtemps, j'ai eu honte de ma soeur», avoue aujourd'hui la réalisatrice. «Puis ce sentiment a disparu quand j'ai acquis une certaine maturité, renforcée lorsque je suis devenue mère moi-même.»
Exclue de l'école, Sabine ne sera plus scolarisée et restera à la maison jusqu'à l'âge de 27 ans. «Durant toutes ces années, elle se passionne pour de multiples choses. Elle étudie des livres d'anglais, tricote des pulls, fabrique des poupées, apprend la musique sur un petit piano Bontempi et adore la géographie. Fascinée par les voyages, elle rêve de partir loin.»
En 1987, les deux soeurs prennent ensemble l'avion pour les Antilles, puis, plus tard, vont à New York. Sandrine filme, avec une caméra amateur, pour conserver le souvenir de ces escapades. Elles ponctuent le documentaire, rappelant la complicité des deux jeunes femmes, qui semblent épanouies et heureuses d'être ensemble.
«L'idée de faire ce film est venue pendant son internement. J'étais très nostalgique de toute cette beauté et de ses capacités», explique Sandrine.
Fermées à double tour.
En 1996, Sabine, qui vit très mal le deuil du frère aîné et la distance qui la sépare de ses soeurs, devient violente. Plus seulement envers elle-même, mais aussi envers les autres et notamment sa mère. Sa famille décide de l'envoyer dans un hôpital psychiatrique pour un avis médical. Elle est internée pendant quinze jours puis sort avec un traitement léger, sans toutefois qu'un diagnostic soit établi. Pendant cinq ans, elle va d'hôpital en hôpital. Cinq ans de vie dans un lieu inadapté, sans prise en charge. «Elle est sortie de là irrémédiablement diminuée. Elle n'est plus du tout la même.» A l'écran, l'écart est flagrant en effet entre les images du passé et celles prises l'an dernier, entre la jeune femme fine au regard malicieux et la femme qui semble comme emprisonnée dans son corps trop lourd.
Sandrine raconte le souvenir glacé qu'elle garde des visites à l'hôpital, de «plusieurs portes vitrées, fermées à double tour», qu'il fallait traverser pour accéder jusqu'à la chambre de sa soeur.
«L'hôpital est un lieu de soins, pas un lieu de vie. Je suis convaincue qu'elle n'en serait pas là si on avait trouvé de la place dans un lieu adapté. Nous, la famille, ne culpabilisons pas pour autant car nous avons fait ce qu'il fallait faire.»
Histoire privée, histoire publique.
«Faire un film sur sa soeur quand on est actrice… j'avais peur de tomber dans le truc « people », confie Sandrine Bonnaire. Une partie de ma famille était plutôt favorable, l'autre absolument pas, elle craignait que je ne dévoile trop de choses et aussi d'être trop intégrée dans le film. Mais ils ont été rassurés à la projection.»
Dans le film, la maman d'un autre résident du centre raconte elle aussi son désarroi dans le micro qui lui est tendu. «En tournant ce film, je me suis sentie utile. Il y a un an, j'ai été marraine de la Journée de l'autisme et je me suis rendu compte alors que cette situation concerne plein de gens, explique encore Sandrine Bonnaire. Cela m'a alors convaincue de faire ce film.»
Selon l'Inserm, on compte 40 000 enfants et adolescents autistes et environ le même nombre d'autistes adultes. Les troubles mentaux touchent en France plus d'un million d'enfants et d'adolescents.
«Nous n'avions pas mesuré la part thérapeutique de notre projet pour Sabine, mais je crois qu'il lui a donné de la dignité, il lui a fait du bien en tous cas.»
Sensibiliser le regard des autres et faire bouger les pouvoirs publics sur la nécessaire création de « lieux de vie » pour les personnes atteintes d'autisme, tel est le double message du film de Sandrine Bonnaire. Elle a d'ailleurs poussé les portes de l'Elysée mercredi dernier pour un entretien avec le président de la République. «Les handicapés qui ont un trouble du développement doivent pouvoir vivre dans de petites unités», plus propices à leur épanouissement et qui, par ailleurs, «coûtent moins cher que l'hôpital». «Ce sont des personnes qui ne guériront pas mais qui peuvent aller mieux s'il y a une meilleure prise en charge, avec des gens formés, des éducateurs spécialisés, et surtout des lieux qui ne ressemblent pas aux hôpitaux.» On ignore encore quelle suite les services de Nicolas Sarkozy donneront au signal d'alarme tiré par la comédienne. Elle doit aussi rencontrer Xavier Bertrand, le ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité.
«Beaucoup de centres existent mais ils ne sont pas médicalisés. Ces centres-là ne sont pas valables pour des gens comme ma soeur qui sont en crise parfois et ont besoin d'un soutien hospitalier», plaide la comédienne.
Le film a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes et a reçu le prix de la Fipresci (Fédération internationale de la presse cinéma). Il sera diffusé le 14 septembre à 20 h 55 sur France 3. Une sortie en salle est prévue au début de 2008.
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