CHEZ LES FEMMES, tout comme chez les hommes, l'insuffisance coronaire constitue la première cause de mortalité, avant le cancer (1). Or, pour les médecins comme pour les patientes elles-mêmes, les maladies cardio-vasculaires sont considérées comme une pathologie d'homme (2). Il en va de même pour les concepteurs des essais cliniques. En effet, les femmes ne représentaient que de 19 à 31 % des sujets inclus dans les essais réalisés dans le domaine des maladies cardio-vasculaires qui ont été publiés entre 1986 et 2003, alors qu'elles constituent plus de 50 % de la population, en France comme ailleurs.
C'est principalement pour ces raisons que la Société européenne de cardiologie a mis en oeuvre le projet Women at Heart (3) et que, fondées sur le niveau de preuve, des recommandations relatives à la prévention cardio-vasculaire chez les femmes ont été émises par l'American Heart Association (4).
Dans le cadre du programme européen Euro Heart Survey, il a fallu évaluer l'influence du sexe sur les modalités d'exploration et de prise en charge de l'insuffisance coronaire stable, et en évaluer les conséquences sur le pronostic de la maladie à un an (5).
Moins d'explorations, invasives ou non.
Ce travail a porté sur les patients consultant pour la première fois pour angor stable, sans épisode instable ou assimilé dans l'année précédente. Ils ont été recrutés dans 197 centres européens. Au total, 3 779 patients ont été inclus entre mars et décembre 2002. Des données exploitables ont été obtenues chez 3 031 d'entre eux, soit 80 % de l'effectif. La durée médiane du suivi a été de treize mois. L'âge moyen de la population étudiée a été de 61 ans. Les femmes, qui constituaient 42 % de l'échantillon, étaient plus fréquemment hypertendues que les hommes ; en revanche, elles avaient moins souvent d'antécédents personnels d'infarctus myocardique ou d'accident vasculaire cérébral. Toujours dans la population féminine, les symptômes cliniques d'insuffisance coronaire étaient plus souvent de classe fonctionnelle II de la Société canadienne de cardiologie.
En ce qui concerne les investigations non invasives, l'épreuve d'effort a été significativement moins souvent mise en oeuvre chez les femmes, avec un odds ratio de 0,81, par comparaison avec les hommes. Une explication envisageable pour rendre compte de cette différence est la fréquence des faux positifs dans la population féminine. Toutefois, cette hypothèse ne permet pas d'expliquer les différences constatées dans ce travail. En effet, les explorations prévues dans cette situation n'ont été réalisées que chez une femme sur quatre.
Quant à la coronarographie, elle a été mise en oeuvre encore moins souvent chez les femmes, avec un odds ratio de 0,59, par comparaison avec les hommes, à niveau de risque cardio-vasculaire comparable.
Le biais concerne les explorations, mais aussi le traitement.
En ce qui concerne les traitements, les différences homme-femme sont apparues nettes. En effet, la probabilité d'une revascularisation chez la femme est apparue faible, avec un odds ratio de 0,38 dans la population totale (intervalle de confiance à 95 % : 0,31-0,46, p < 0,001). Les différences persistent, avec un odds ratio de 0,70 (intervalle de confiance à 95 % : 0,52-0,94, p < 0,019), par comparaison avec les hommes en cas de maladie coronaire documentée, après ajustement pour l'âge et les facteurs de risque. Les différences persistent, sans toutefois atteindre le seuil de signification statistique, après ajustement supplémentaire pour la sévérité des lésions et l'altération de la fraction d'éjection ventriculaire gauche (odds ratio : 0,71, intervalle de confiance à 95 % : 0,48-1,04, p = 0,08).
Un fait propre à cette étude est que les femmes sont significativement moins souvent que les hommes l'objet d'une prévention secondaire en cas de maladie coronaire confirmée. La différence concerne les antiagrégants plaquettaires, dont l'aspirine, et les hypolipémiants, dont les statines. Une prévention secondaire efficace a été prescrite après consultation chez un cardiologue, chez 79 % des hommes et 71 % des femmes ; cette différence est statistiquement significative (p = 0,01).
Ces biais sont à considérer comme très préoccupants au regard du pronostic de l'insuffisance coronaire, qui est plus péjoratif chez les femmes que chez les hommes. Peut-être faut-il rappeler que le risque cardio-vasculaire est plus élevé chez la femme après infarctus myocardique aigu. La mortalité globale chez les femmes atteint en effet 25 % à un an, alors que, chez les hommes, elle n'est que de 16 % (6). Ce pronostic péjoratif de la nécrose myocardique concerne surtout les premiers jours de l'hospitalisation et les femmes jeunes (de 30 à 67 ans).
Il existe toutefois des différences entre hommes et femmes en matière de pathologie coronaire. Par exemple, le diamètre des artères coronaires est plus petit en moyenne chez les femmes, ce qui a des implications assez directes pour les résultats obtenus en angioplastie : il n'est donc pas si surprenant que l'on puisse avoir une attitude différente, même sur le plan thérapeutique. Il n'en reste pas moins que, dans la population de l'European Heart Survey, plutôt recrutée dans des centres à haut niveau de technicité, on constate une différence de prise en charge associée à une différence de pronostic.
D'après un entretien avec le Pr Nicolas Danchin, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
(1) G.W. Mikhail. Coronary Heart Disease in Women Is Underdiagnosed, Undertreated, and Under-Researched.
« BMJ », 2005 ; 331 : 467-468 (éditorial).
(2) M. Stramba-Badiale, S.G. Priori. Gender-Specific Prescription for Cardiovascular Diseases ? « Eur Heart J », 2005 ; 26(16) : 1571-1572 (éditorial).
(3) En ligne : www.escardio.org/initiatives/WomenHeart/ (4) L. Mosca et coll. Evidence-Based Guidelines for Cardiovascular Disease Prevention in Women. « Circulation », 2004 ; 109 (5) : 672-693.
(5) C. Daly et coll. Gender Differences in the Management and Clinical Outcome of Stable Angina. « Circulation », 2006 ; 113 : 490-498.
(6) T. Simon et coll. Impact of Age and Gender on In-hospital and Late Mortality After Acute Myocardial Infarction : Increased Early Risk in Younger Women. Results From the French Nation-Wide USIC Registries. « Eur Heart J », 2006 ; 27 (11) : 1282-1288.
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