DEPUIS PLUSIEURS années, le contexte de la politique de prévention de la transmission du VIH a évolué. L'arrivée des traitements, la baisse des décès dus au sida et la moindre visibilité sociale de l'infection qui en découle a estompé la dimension tragique de l'épidémie d'infection à VIH. Pourtant, le nombre de personnes vivant avec le virus ne cesse de croître, révélant les failles de la politique de prévention. Des succès ont été enregistrés dans la prévention de la transmission parmi les usagers de drogues, de la mère à l'enfant ou encore lors des transfusions sanguines, mais la politique de prévention éprouve des difficultés à trouver les réponses adaptées à l'émergence de nouveaux groupes à fort risque d'exposition : les femmes et les personnes originaires d'Afrique subsaharienne. Elle a également du mal à faire face à la reprise des comportements à risque qui atteint aujourd'hui un niveau inquiétant dans la population gay.
Le Conseil national, dont la mission depuis 1989 est de « donner son avis sur l'ensemble des problèmes posés à la société par le sida », s'est saisi de la question. Sa commission prévention a auditionné une quarantaine de personnes et consulté la « littérature grise » publiée par les associations ou les organismes publics. Le rapport adopté en séance plénière est un constat sévère : les objectifs de la lutte contre la propagation du virus, tels que définis dans l'avant-dernier Plan national de lutte contre le VIH/sida (2001-2004) - notamment d'enrayer la reprise épidémique chez les homosexuels masculins et de réduire les écarts existants entre la population française et les personnes étrangères vivant en France -, ne sont pas atteints. « L'engagement de l'État en faveur de la prévention de l'infection est insuffisant », note le rapport, qui va même jusqu'à parler de « défaillance de la puissance publique ».
« La place de la prévention dans le nouvel environnement de santé publique est floue et les réponses apportées paraissent faibles au regard des enjeux », souligne le CNS. Parmi les 100 objectifs de la loi de santé publique de 2004, aucun ne concerne la prévention primaire. Seul apparaît l'objectif de prévention secondaire qui vise à réduire l'incidence des cas de sida à 2,4 pour 100 000 en 2008. Le projet de loi des finances 2006 s'intéresse à la prévention primaire, mais de manière indirecte dans le programme « santé publique et prévention » : les indicateurs associés à l'objectif n° 6, « renforcer l'adoption de comportements de prévention du VIH/sida », sont l'utilisation des préservatifs et la reconnaissance des campagnes, mais pas la réduction de la transmission du VIH. Au sein de l'État, l'Éducation nationale est absente des politiques de prévention, laissées à la volonté des particuliers.
Pire, la mise en œuvre de certaines politiques gouvernementales entrave le bon déroulement d'actions de prévention réputées efficaces. C'est le cas des mesures décidées par le ministère de l'Intérieur à l'égard des personnes prostituées, des usagers de drogues et des migrants (réforme de l'AME, loi sur la sécurité intérieure) qui freinent l'accès aux soins, réduisent les contacts entre les personnes et les associations de prévention et augmentent les risques d'exposition. La coordination et la régulation au sein de l'appareil gouvernemental est en cause : « D'autres politiques peuvent interférer avec la santé publique, insiste le rapport , mais il est primordial que toute action entreprise par une administration quelle qu'elle soit n'aille pas à l'encontre des objectifs de santé publique. »
Une parole publique forte.
Le CNS souhaite donc que la « politique de prévention soit soutenue par l'ensemble de l'appareil gouvernemental et qu'elle s'accompagne d'une parole publique forte ». La politique de prévention doit bénéficier d'une régulation au plus haut niveau pour permettre la mise en œuvre d'actions efficaces. « Pour cela, il est nécessaire que le discours des plus hautes autorités de l'État sur l'urgence à lutter contre le VIH ne se consacre pas uniquement au soutien à la lutte dans les pays en développement, mais qu'il encourage aussi l'engagement de l'État lui-même dans la prévention de la transmission du VIH en France. » L'approche multisectorielle de la lutte s'impose aussi dans notre pays.
Les rapports entre les associations et l'État sont aussi à revoir. « Au fur et à mesure des années, l'État s'est installé dans une politique de délégation de facto et a chargé les associations d'une partie de sa mission de lutte contre l'infection à VIH, en l'occurrence les démarches auprès de personnes le plus exposées », explique le rapport. Le choix de confier la conduite des actions de terrain (comme le service de téléphonie ou la prévention auprès des prostituées) aux associations induit une dépendance mutuelle et génère des contraintes à la fois pour l'Etat et pour des associations. L'Etat semble se satisfaire de son rôle de financeur sans s'interroger sur les contraintes de gestion au quotidien qui pèsent sur les associations. « Or la fragilité financière des associations est due en partie aux versements tardifs des subventions étatiques », indique le rapport.
L'Etat a également un rôle important à jouer dans l'équilibre du paysage associatif. La délégation de facto a des avantages, mais ne permet pas de couvrir l'ensemble du territoire ni des populations . « Les grandes associations de lutte contre le sida (Aides, Act Up) ne peuvent à elles seules répondre à toutes les évolutions des épidémies. » L'État devrait donc aider à l'émergence d'associations nouvelles ou à la transformation d'associations existantes qui étendraient leur domaine d'intervention à la prévention.
Un image plus réaliste.
Enfin, la participation à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique de prévention comporte, pour les associations, un certain nombre d'exigences. Elles doivent surmonter leur controverses, notamment sur le bareback (revendication de relations sexuelles non protégés). « La difficulté du port du préservatif en toute circonstance ne doit pas conduire à développer des discours justifiant son abandon. »
Une meilleure connaissance de l'épidémie grâce à un plus grand partage des savoirs, notamment avec les associations, devrait conduire à une image plus réaliste de l'infection. « Il apparaît avec le recul que si l'analogie avec les maladies chroniques est utile pour rassurer les patients et le monde médical, elle peut conduire à une mauvaise compréhension de la gravité de l'infection et du vécu des personnes atteintes. »
Des recommandations
Les 37 recommandations s'articulent autour de trois chapitres. Le premier concerne l'engagement de l'Etat qui doit clarifier la place de la prévention dans le système de santé et les sources de financement. Le CNS lui recommande notamment de préciser et réaffirmer le rôle de l'Inpes et d'utiliser pleinement les Centres de coordination régionale de la lutte contre le VIH (CoreVIH ancien Cisih).
L'Etat doit garantir la cohérence des actions de prévention, inciter encore plus les collectivités territoriales à y contribuer, soutenir la mobilisation pour les étrangers et les migrants, imposer aux établissements commerciaux de sexe la mise à disposition gratuite du matériel de prévention et garantir partout l'accès aux traitements post-exposition en cas d'accident d'exposition sexuelle.
Il doit endosser les responsabilités associées à la délégation. Il aura à veiller à la pertinence et à la cohérence des associations au regard du programme de lutte contre le VIH 2005-2008, favoriser un paysage associatif diversifié, savoir faire face à l'absence d'association dans une zone géographique ou auprès d'une population cible.
Il doit promouvoir les campagnes de prévention adaptées aux défis, en donnant une image plus réaliste de la gravité de l'infection, en étant capable d'élaborer des discours pour les personnes séropositives et pour les personnes séronégatives. Les messages devront être plus fréquents et plus diversifiés.
L'Etat doit également assurer la connaissance nécessaire. Notamment, le CNS recommande que soient organisées une conférence de consensus ou une audition publique sur les risques associés aux pratiques sexuelles et des assises annuelles de la prévention pour partager les expériences.
Le deuxième chapitre de recommandations concerne la cohérence gouvernementale en matière de prévention. L'Etat doit prendre en compte la globalité des enjeux. Les ministères de l'Education et de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, doivent mettre en place la prévention des jeunes, d'une part, en relançant l'éducation à la sexualité et à la vie affective et, d'autre part, en offrant aux dirigeants d'associations sportives des formations nécessaires pour qu'ils participent à l'information. Les politiques du ministère de l'Intérieur ne doivent pas s'opposer à la politique de prévention : la loi de la sécurité intérieure ne doit pas être un obstacle à la prévention auprès des prostituées ; les droits des étrangers doivent être pleinement appliqués ; dans les centres de rétention administrative, les personnes doivent bénéficier de l'application de leurs droits ; la lutte contre le trafic de stupéfiants ne doit pas remettre en question les résultats obtenus par la réduction des risques chez les usagers de drogues par voie intraveineuse. Le ministère de la Justice doit faire face à l'épidémie de VIH en prison ; il doit admettre l'existence des pratiques sexuelles (préservatifs accessibles dans les établissements pénitentiaires) et parachever la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues détenus (accès aux médicaments de substitution ; mise en place, en concertation avec le personnel de l'administration pénitentiaire, d'expérimentations d'échanges de seringues).
La troisième série de recommandations vise, d'une part, à sécuriser l'environnement des associations, d'autre part, à préciser les obligations des associations.
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