LE CONSEIL national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) serait-il un bateau à la dérive ? Pour le Dr Pierre Lévy-Soussan, qui en assura la vice-présidence de septembre 2002 au 19 janvier dernier, il ne fait aucun doute que l'institution, en l'état actuel, « ne peut fonctionner de façon professionnelle ».
Dans la lettre de démission qu'il a adressée à Jean-François Mattei, un mois et demi après le départ du Pr Roger Henrion, qui présidait le conseil, le pédopsychiatre parisien ne manque pas d'arguments. « Cet organisme d'Etat connaît de très graves dysfonctionnements », dit-il au « Quotidien ».
Issu de la loi du 22 janvier 2002, il permet aux mères d'accoucher dans le secret et, aux enfants abandonnés, d'accéder à leurs origines, tout en garantissant la protection des familles adoptives. De septembre 2002 à septembre 2003, 30 enfants ont retrouvé l'identité de leur mère, sur un total de 600 nés sous X qui se sont adressés au Cnaop*.
Au détriment de la mère biologique.
En tout premier lieu, « le Cnaop ne respecte pas les mères qui abandonnent , affirme le praticien démissionnaire. Depuis un an, les femmes concernées « désertent de plus en plus les maternités et les unités spécialisées dans l'accueil des personnes en difficulté par rapport à leur grossesse », car ces structures ne sont « pas préparées à l'acte d'abandon d'enfant ». « Pour les représentants du Cnaop dans les départements, la tâche essentielle est de faire la chasse aux renseignements, là où accouchent les femmes, au détriment de ce qui peut être important pour la psychologie des mères et en violation du secret médical, puisque même des internes et des infirmiers sont sollicités pour en savoir plus », explique le Dr Pierre Lévy-Soussan.
Il s'ensuit une désaffection de la procédure d'accouchement sous X, ce qui laisse présager une « recrudescence des maltraitances à enfants, et/ou des dépôts sauvages d'enfants dans les lieux publics, voire dans les hôpitaux ». « En Allemagne et en Suisse, on a réhabilité les dépôts anonymes de bébés dans des "couveuses" en milieu hospitalier », comme cela se pratiquait au XVIIe siècle avec les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. « Devra-t-on en revenir là ? », demande le praticien. Quant aux mères qui empruntent toujours le chemin légal de la maternité pour un abandon, « elles le font souvent sans rien laisser de leur histoire, tandis qu'on enregistre une hausse des accouchements prématurés, signe d'un mauvais accueil des parturientes ».
Les femmes qui ont abandonné leur enfant, quelle que soit l'antériorité de leur geste, ne sont guère plus respectées. Le Dr Pierre Lévy-Soussan parle de « pratiques persécutantes du Cnaop ». « On harcèle par téléphone des personnes afin de savoir si elles souhaitent lever le secret de leur abandon, et de telles méthodes ne sont pas sans provoquer des séparations dans les couples. » Enfin, lorsque la mère biologique décède, la révélation de cette disparition est « faite automatiquement à l'enfant, ce qui témoigne, là encore, de l'absence de délicatesse dans les démarches du Conseil ». Ce fut le cas à 9 reprises depuis septembre 2002.
Tout le champ filiatif ébranlé.
Un autre écart du Cnaop, selon le Dr Pierre Lévy-Soussan, est de faire de la filiation biologique « le maillon principal de la construction psychologique de l'enfant ». Avec des conséquences « des plus fâcheuses » pour les adoptants . Le pédopsychiatre parisien, directeur de la consultation filiations de l'association Phymentin, observe que les parents adoptifs sont « désorientés par l'effet médiatique et sociétale de la loi de 2002 ». « Sans les origines biologiques, ils ne peuvent pas créer une filiation avec l'enfant, leur dit-on. Aussi se retrouvent-ils paralysés, alors qu'ils sont porteurs d'une origine qui doit servir à bâtir le psychisme de leur enfant. Mais on se garde bien de le mettre en avant au Cnaop. On peut dire que tout le champ filiatif est ébranlé aujourd'hui. »
Toutefois, « c'est à regret » que le pédopsychiatre quitte ses fonctions, qui lui « ont été attribuées en tant que personne qualifiée ».
Pour le retenir, ce que le Pr Michel Arthuis, successeur du Pr Roger Henrion à la tête du Cnaop, n'a pas fait, « il aurait fallu un fonctionnement plus professionnalisé, plus conséquent et plus harmonieux ; non seulement à l'égard des filiations adoptives à venir et de l'accueil des femmes en difficulté, mais aussi d'une conception de la filiation plus cohérente en général ». « Le fait d'hypertrophier la filiation biologique pourrait conduire à des contrôles de la paternité et de la maternité biologiques pour les enfants à naître. C'est le biologique au détriment de la parole, du psychisme », met en garde le Dr Pierre Lévy-Soussan.
Le Cnaop, qui compte en son sein des représentants de ministères choisis en tant que mères adoptantes, reste sous la férule de sa secrétaire générale Marie-Christine Le Boursicot, conseillère juridique de Enfant et famille d'adoption et proche du ministre de la Santé.
* La France compte 400 000 nés sous X (560 naissances en 1999).
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