C'EST LE 10 MARS que sont sommées de comparaître devant le juge des référés les différentes parties prenantes du désamiantage du « Clemenceau » : l'agent judiciaire du Trésor, en sa qualité de représentant de l'Etat, le préfet de Paris, en tant que représentant des Domaines, et le consortium Ship Decommissioning Industries (SDI), administré par la société allemande Eckhart-marine, filiale de Thyssen et Krupp. Il s'agit là d'une première victoire des associations Ban Asbestos-France (Interdire l'amiante) et Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante), qui dénoncent depuis plusieurs mois les conditions de désamiantage du « Clemenceau » (« le Quotidien » du 9 février).
Après avoir alerté les ministères concernés, à la fois sur les conditions des opérations actuellement menées à Toulon et sur l'illégalité du désamiantage résiduel prévu en Inde, elles ont récemment obtenu du ministère de la Défense des précisions qui étayent leur requête. Une lettre du directeur adjoint du cabinet du ministère reconnaît que « le désamiantage réalisé dans le port militaire de Toulon comprend le retrait de l'amiante visible et directement accessible sans travaux de découpe ou de déconstruction portant atteinte à l'intégrité du navire. Il est en effet nécessaire de préserver la structure du navire pour permettre son exportation vers un chantier de démolition. Dans la pratique, 90 % de l'amiante sera enlevé, le reliquat, environ 22 tonnes, sera traité en Inde par la société Luthra Group sous l'encadrement de la société française Technopure, responsable du désamiantage à Toulon ».
Arguments juridiques.
Le recours en justice intenté par les deux associations porte sur l'opération indienne, qu'elles estiment illégale et dangereuse. « Il convient de noter l'absence, en Inde, de réglementation protectrice des travailleurs exposés à l'amiante et de corps chargé de contrôler les conditions dans lesquelles les opérations de désamiantage s'effectuent. De plus, les mesures de prévention dans ce type d'opération sont extrêmement coûteuses et ne pourront être mises en place en Inde, le matériel adéquat n'existant pas », soulignent-elles dans leur requête.
L'argument juridique qui devrait faire mouche concerne « la méconnaissance de la réglementation existante en matière d'exportation de déchets dangereux ». Les avocats des associations vont rappeler la Convention de Bâle « sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination », signée par la France et l'Inde et entrée en vigueur le 5 mai 1992. L'amiante présente dans le navire lorsqu'il reprendra la mer en direction de l'Inde figure parmi les déchets dangereux énumérés par cette Convention ; pour les plaignants, il s'agirait donc d'un « trafic illicite au sens de l'article 9-1 de la Convention ».
Le transfert du navire en Inde serait également illégal selon les dispositions du règlement de la CEE qui interdit « toutes les exportations de déchets destinés à être éliminés ». Et contraire, enfin, aux dispositions du code de l'environnement, qui prévoit que l'exportation des déchets est interdite lorsque le destinataire « ne possède pas la capacité et les compétences pour assurer leur élimination dans des conditions qui ne présentent pas de danger pour la santé humaine ni pour l'environnement ».
Moyennant quoi, les associations demandent « la suspension de l'exécution du contrat conclu entre l'Etat et le consortium SDI en ce qu'il prévoit un transfert et un désamiantage du porte-avions en Inde » et la condamnation de l'Etat, des Domaines et de la SDI à payer aux requérants la somme de 2 000 euros chacun.
Petites associations contre grand Etat et énormes multinationales : le procès du « Clemenceau » permettra-t-il la victoire du pot de terre contre un pot de fer qui aura sans doute plus d'un tour sous son anse ? Une décision particulièrement attendue par les propriétaires de navires en voie de rachat ou de démantèlement, tel le « Norway », dont on parle beaucoup actuellement et qui devra lui aussi passer par la case désamiantage.
Supplique indienne
Sous le titre « Complaint letter to french government », trois associations indiennes, parmi lesquelles Greenpeace Inde et une centrale syndicale ouvrière, ont envoyé une lettre ouverte à l'ambassadeur de France à New Delhi pour demander que le gouvernement français empêche l'exportation du « Clemenceau » vers l'Inde et vers tout autre pays hors Ocde, tant qu'il n'aura pas été totalement décontaminé. Selon leurs informations, il resterait, après l'opération réalisée en France, de 22 à 100 tonnes d'amiante.
Les associations indiennes dénoncent les violations de la convention de Bâle. Elles rappellent que la Cour suprême de leur propre pays a en vain légiféré pour que les navires arrivant en Inde pour y être démantelés aient auparavant été débarrassés de toute matière dangereuse par leur propriétaire. Et elles soulignent qu'aucune mesure de sécurité n'est prise en Inde pour protéger les ouvriers procédant à ces démantèlements, ni l'environnement.
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