Transfert de données aux complémentaires

Le CISS crie au loup

Publié le 09/10/2008
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LE COLLECTIF interassociatif sur la santé (CISS, qui fédère 29 associations de patients et d'usagers) s'émeut des convoitises dont font l'objet les données de santé personnelles. Après l'épisode du sulfureux fichier Edvige (qui exclut désormais le recueil de données concernant la santé ou la vie sexuelle des personnes fichées), le CISS monte au créneau pour dénoncer les conséquences du protocole d'accord signé le 28 juillet entre le gouvernement et la Mutualité française. Dans ce texte, l'État concède aux mutuelles que «l'accès des organismes complémentaires santé aux données de remboursement sera désormaisouvert, dans le respect de l'anonymat qui doit être garanti aux assurés».

La nouveauté, c'est que chaque mutuelle, compagnie d'assurances ou institution de prévoyance pourra récupérer les données codées des feuilles de soins électroniques afin de connaître le contenu des remboursements de la Sécu, même s'il leur sera impossible de remonter jusqu'à l'identité de l'adhérent-assuré. En clair, cela ouvre la voie à la généralisation sur tout le territoire des expérimentations Babusiaux. Mises en place à la suite du rapport Babusiaux*, ces expérimentations ont été lancées de manière localisée par la Mutualité française, Axa, Groupama et Swiss Life, après le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Industrialisation.

Pour le CISS, l'accord du 28 juillet 2008 «met en lumière le peu de cas qui est fait en France du statut des données personnelles de santé», lesquelles «se promènent sans contrôle et sans régulation adaptés». «La collecte des données de santé personnelles s'industrialise sans que des garanties de transparence, de traçabilité et de protection contre le mésusage ne soient clairement établies et, pour certaines, renforcées. Ça va mal finir», poursuit le CISS dans son communiqué.

Le directeur général de la Mutualité française se dit «peiné» par ce mauvais procès. «On s'est battu pour que les expérimentations Babusiaux respectent totalement l'anonymat», rappelle Daniel Lenoir. Leur extension se fera «dans le cadre de la loi informatique et libertés de 1978 et sous le contrôle de la CNIL dont c'est la mission», souligne-t-il. Confortées récemment dans leur rôle de gestion du risque, les mutuelles visent ainsi à mieux connaître, à réguler et à anticiper leurs dépenses de médicaments, par exemple, ou bien les remboursements de dépassement d'honoraires (dans la perspective du secteur optionnel).

Or le CISS s'inquiète du fait que ce transfert de données individuelles échappe au contrôle de l'Institut de données de santé (IDS), dont la création était pourtant une revendication de la Mutualité. Installé en 2007, l'IDS veille au partage de données de santé anonymisées entre ses 13 membres, représentant tous les acteurs publics et privés du système de soins (www.gip-ids.fr). Ainsi, l'Union nationale des organismes complémentaires (UNOCAM) a déjà accès aux précieuses statistiques issues du système national d'informations interrégime de l'assurance-maladie (SNIIRAM). Après l'avis favorable de la CNIL du 18 septembre, un arrêté ministériel ouvrira ce partage de données anonymisées à la Mutualité française, à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), au Comité technique des institutions de prévoyance (CTIP), mais aussi aux syndicats de professionnels de santé, aux associations de patients et d'usagers…

Christian Saout, président du CISS, craint en tout cas que les modalités du partage des données de santé – même anonymisées – deviennent de moins en moins canalisées. En guise de protestation, il envisage que le CISS «se retire de l'IDS pour ne pas apporter de la crédibilité à des turpitudes».

Le Dr Michel Chassang, leader de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), redoute de même une évolution législative en faveur d'un transfert de données de santé vers les organismes complémentaires via un amendement au projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2009. «Laisser les assurances privées avoir des données précises sur les dépenses de remboursement, cela revient à une sélection du risque, des professionnels de santé, des patients: tout cela est très dangereux», estime le Dr Chassang.

Après le douloureux précédent du fichier Edvige, le gouvernement devra donc marcher sur des oeufs s'il veut faire évoluer les règles du partage des données de santé.

* Rapport de 2003 définissant un cadre juridique à l'accès des complémentaires aux données de santé. Il proposait d'expérimenter le transfert de données anonymisées ou personnalisées avec l'accord du patient.

> AGNÈS BOURGUIGNON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8437