L 'INTERVENTION télévisée de Lionel Jospin a été précédée d'un tel tintamarre que la montagne a inévitablement accouché d'une souris.
Le Premier ministre a pu lire, avant l'émission, quelques articles dévastateurs qui relataient, avec force détails, une animosité inouïe à l'égard du président de la République ou la goujaterie avec laquelle il a traité deux journalistes (de l'AFP et de la télévision) pendant son voyage en Amérique du Sud.
Les lecteurs les plus attentifs pouvaient le croire au bord de la dépression nerveuse, accablé par le résultat des élections municipales, exaspéré par la surenchère des communistes et des Verts, épuisé par une cohabitation qui le prive de ses meilleurs atouts pour l'élection présidentielle.
Il n'y avait pas mieux que la télévision, qui ne ment jamais au sujet de ce que les Américains appellent le langage du corps, pour démontrer que le chef du gouvernement s'est repris, se montrait frais et dispos, calme et presque indifférent.
Au-delà de la politique
Indifférent d'abord à un enjeu auquel on le croit, à tort ou à raison, viscéralement attaché : l'élection présidentielle, à laquelle il n'est pas certain de se présenter, dit-il en ne trompant personne. Il voulait simplement dire qu'il y a une vie au-delà de la présidence de la République et que lui, Jospin, possède, dans sa vie affective et son for intérieur, des ressources capables de le rendre heureux même s'il n'accède pas à la magistrature suprême. Sur cette façon de voir les choses, on veut bien le croire et on ajoutera que c'est la seule attitude valable en l'occurrence, même si on n'est jamais sûr qu'un homme politique puisse se montrer aussi raisonnable.
C'est vrai, M. Jospin n'a pas annoncé de nouvelles mesures, et les journaux du lendemain ont un peu expédié le compte rendu de sa prestation télévisée. Ils ont bien fait, car, de même qu'il y a une vie au-delà de la présidence, il y en a une pour tous les citoyens français en dehors de la politique. Il ne nous semble pas pour autant que le non-événement qu'aura été l'intervention télévisée soit vide de tout contenu. Le chef du gouvernement, avec une obstination qu'on commence à connaître, n'a pas cédé, et c'est déjà beaucoup. Il n'a pas cédé aux exigences des communistes et des Verts ; pour ce qu'ils réclament, il n'y a pas un sou dans le budget de cette année, la fameuse cagnotte ayant disparu sous l'effet du ralentissement de la croissance ; il n'a pas non plus annoncé une hausse d'impôts pour financer de telles mesures ; il n'a pas l'intention de mettre sur la paille les entreprises qui forment le tissu économique du pays. M. Jospin ne répond pratiquement à aucune des revendications multiples qui s'élèvent de toutes parts et dont le concert a été, ces dernières semaines, retentissant. D'abord parce qu'il lui faut financer ses réformes (les 35 heures, la CMU, l'APA) auxquelles il est tellement attaché, mais que les Français considèrent comme acquises et qui n'ont pas rogné la vrille des doléances. Un coup de pouce pour le SMIC, la remise au pas de ces entreprises, ennemies du peuple, qui licencient massivement sans crier gare et manifestent une arrogance qui mérite châtiment, la retraite à 55 ans dans les transports publics, les réclamations abusives des fonctionnaires.
Bref, le Premier ministre a dit sans le dire qu'il restait attaché à l'équilibre budgétaire et qu'il ne peut redistribuer que ce que la France gagne. Dans la bouche d'un socialiste, c'est important. C'est une nouvelle.
Ces Français qui souffrent
Pour autant, s'il a réussi cette fois à cacher son perpétuel agacement (il était à deux doigts de dire que ses concitoyens étaient des gens excessifs), s'il a donné un gage aux nouveaux chômeurs de Danone et de Marks & Spencer en promettant de durcir les règles du licenciement pour les sociétés qui font des profits (ce qui n'est que justice), il aurait pu avoir quelques mots de compassion pour cette profession agricole accablée par deux fléaux successifs, pour les inondés de la Somme et, d'ailleurs, qui ont tout perdu, pour ces habitants de Vimy qu'on a évacués sans autre forme de procès, sans même leur dire quand ils pourraient rentrer chez eux, pour ces Français qui souffrent intensément, alors qu'il nous présente le sempiternel tableau de la France en croissance qui crée des emplois et réduit sensiblement le chômage.
Là aussi, il a paru indifférent. Mais sûrement, M. Jospin a un cur. Il est seulement pudique et on lui fait en ce moment tant de procès qu'il en oublie que, à la place où il est, il gouverne aussi des Français qui ne sont pas à la noce et qu'il ne faut pas oublier.
Le Premier ministre n'a peut-être rien dit, mais il a fait cette semaine un choix de gouvernement essentiel : il ne sera pas déraisonnablement dépensier, il veillera à financer les programmes dans lesquels il est engagé et qui ne lui permettent pas de tirer de nouveaux chèques. Cette prudence n'a pas de quoi soulever l'enthousiasme, mais, Français, si vous saviez à quel point c'est important pour votre avenir...
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