QUELQUES RAISONS expliquent cette surprise : depuis 1995, l'année où Alain Juppé a proposé la même réforme et n'a réussi qu'à déclencher une série de grèves dures et longues qui ont paralysé le pays, les mentalités ont évolué. La pédagogie a fait son oeuvre : les Français savent qu'ils paient pour les retraités des régimes spéciaux, environ un million de retraités et cinq cent mille actifs dans divers secteurs (EDF, Sncf, GDF, Ratp, clercs de notaire, employés de la Banque de France, et d'autres). Les régimes spéciaux ont été adoptés pendant une époque prospère où les retraités étaient peu nombreux et les cotisants très nombreux ; ils compensaient une pénibilité du travail qui a disparu des professions concernées. La réforme est donc parfaitement légitime.
LE REFORME EST LEGETIME ; C'EST SON ACCELERATION QUI SURPREND
Une provocation ?
Cependant, c'est un avantage acquis sur lequel s'arc-boutent les syndicats dont le rôle ne consiste pas à prendre en charge les déficits publics mais à défendre les intérêts des salariés. La déclaration de M. Fillon, dimanche dernier, les a pris par surprise : ils en étaient à manifester leur mauvaise humeur au sujet du projet, apparemment moribond, de TVA sociale, à contester les mesures de réduction de la pression fiscale et à mettre en garde le gouvernement sur toute réforme sociale précipitée. Compte tenu de leur discours, François Fillon semble s'être livré à une provocation. Il faut savoir pourquoi.
Le gouvernement sait que la crise boursière se prolonge et que la croissance ne sera pas conforme à ses prévisions, même s'il dit le contraire. Nicolas Sarkozy a sondé les reins et les coeurs des chefs syndicalistes qu'il a consultés pendant l'été. Leur conception de la réforme est diamétralement opposée à la sienne. Il se dit que, quitte à augmenter l'impopularité de l'équipe au pouvoir, quitte à déclencher un mouvement social dur, il vaut mieux que ce soit plus tôt que plus tard. Car, dans six mois, une récession risque d'anéantir l'enthousiasme qui a porté M. Sarkozy au pouvoir.
Bien entendu, François Fillon a précisé qu'il y aurait une négociation ; son effet d'annonce inattendu s'est néanmoins traduit par une levée de boucliers syndicale, chaque organisation, y compris la Cfdt, promettant de déclencher la mobilisation de ses troupes. On s'est brusquement retrouvé au temps des guerres sociales.
Le danger est grand, dans cette affaire, qu'une réforme indispensable ne soit pas mise en place uniquement parce que les syndicats reprocheraient au gouvernement ses mauvaises manières. En effet, il ne leur reste plus beaucoup d'arguments pour repousser la réforme ; ils ne demandent d'ailleurs pas le statu quo, mais une négociation sur l'ensemble des régimes de retraite, et notamment sur une extension des carrières que, pour le moment, ils rejettent obstinément.
Ils ne sont pas sûrs d'avoir l'opinion avec eux, compte tenu de ce qui a été révélé sur les régimes spéciaux depuis douze ans. Ils ne peuvent même pas compter avec certitude sur le soutien du PS : aux Journées de La Rochelle, Bertrand Delanoë s'est exclamé : «Est-ce que nous allons rester sans rien faire sur les retraites?», et Manuel Valls reconnaît qu'une réforme devient nécessaire.
C'est peut-être pour toutes ces raisons que le Premier ministre a parlé d'une réforme « prête » au lieu de dire qu'il était prêt à ouvrir les négociations. Il négociera sûrement, mais il ne s'est pas privé de tordre un peu le bras de syndicats avant de parlementer.
Des actes autoritaires.
Certes, on peut craindre que Nicolas Sarkozy, qui caracole sur la vague de sa popularité, ne soit trop sûr de lui et ne commette une erreur stratégique : on a vu trop souvent, par le passé, des réformes enterrées, et notamment celle-ci, par le chaos social. On remarque, non sans quelque inquiétude, que le gouvernement multiplie les gestes autoritaires : Rachida Dati a été encensée par le chef du gouvernement en dépit du désordre qui s'est intallé à la chancellerie, alors que Rama Yade a été blâmée parce qu'elle a rendu visite à des squatters expulsés.
Le problème n'est pas que Mme Dati ait tort ou raison : il est qu'il n'y a pas de justice sans le dévouement et la sérénité des magistrats ; le problème n'est pas que des squatters s'emparent de logements qui ne leur sont pas réservés ; il est que le gouvernement dit d'ouverture semble prompt à châtier une ministre recrutée pour la défense des droits de l'homme, qu'une loi vient d'être adoptée sur le droit « opposable » au logement et que, en définitive, l'humanisme de l'équipe au pouvoir régresse au profit de son autorité.
M. Sarkozy a donc lancé une politique qui, à n'en pas douter, traverse les clivages politiques et tente de prendre, dans les idées des uns et des autres, ce qu'il y a de mieux. Il est, à cet égard, remarquablement accessible ; pratiquement, n'importe quel citoyen peut le rencontrer. Par exemple, il a reçu un élève (accompagné de son père) qui a subi le racisme de son professeur pendant des mois, et il a livré à l'enfant un message essentiel : «Tu es français, tu as tous les droits d'un Français et tu ne dois pas accepter qu'on te parle de cette manière.» Le Sarkozy humaniste, éthique, sensible, proche des petites gens, rivalise chaque jour avec le Sarkozy fébrile et autoritaire. Le président a deux visages et, semble-t-il, deux consciences.
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