LES CANDIDATS socialistes à la présidence devraient se sentir humiliés : Ségolène Royal n’a pas un mot à leur sujet, ni en bien ni en mal. Ils ne semblent pas compter à ses yeux. Elle ne se définit pas par rapport à eux. Elle ne s’en prend pas davantage à Chirac ou à Villepin, qui n’ont aucune chance. Elle va au plus loin, vers l’homme à abattre, Nicolas Sarkozy.
La question ne porte même pas sur la capacité à égaler ou surpasser le ministre de l’Intérieur ; elle porte sur le cadre du conflit qui, d’ores et déjà, serait réservé à deux candidats, Sarkozy et elle : en désignant le plus populaire de ses adversaires potentiels, elle impose du même coup son propre statut ; tout le reste n’est que billevesées. Dans le concert des sarcasmes, personne n’a relevé l’arrogance de cette remarquable tacticienne qui, en outre, s’approprie une partie de l’arsenal sécuritaire de son ennemi désigné et le renforce, en déclarant tout net que le programme sarkozyste n’est que roupie de sansonnet. Elle peut mieux faire : elle placera les malandrins dans des bataillons disciplinaires ; et elle regrette la disparition du service militaire.
La provocation contrôlée.
La brusque – et peut-être trop précoce – accélération de la campagne de Ségolène Royal n’en comporte pas moins de gros risques. D’abord, elle aura du mal à se livrer à cent effets d’annonce en un an et en faisant les plus gros dès aujourd’hui, elle en manquera fatalement à la fin de la campagne ; ensuite parce que, s’il est vrai qu’elle a déjà une popularité qui lui permet d’aller chercher une partie de l’électorat de droite, elle court le danger de se couper du socle idéologique et militant du Parti socialiste, sans compter les Verts et les communistes : même pour une opération héliportée, il faut une base de départ ; enfin, sa crédibilité en tant que présidente répressive ne sera pas établie du jour au lendemain.
On fera à son intelligence et à sa subtilité le crédit d’avoir pensé à tous ces risques. Déjà, quand elle s’est refusée à condamner le blairisme, elle avait annoncé la couleur. Tout se passe comme si elle avait mûrement réfléchi à ce qu’elle veut dire et faire ; et on ne nous fera pas croire qu’elle improvise ses coups d’éclat, pas plus qu’elle ne se laisse emporter par sa rhétorique. Au contraire : chaque mot est pesé pour avoir une résonance maximale. Ségolène est la championne de la provocation contrôlée.
M. Sarkozy a réagi avec ironie en reconnaissant les « progrès » de Mme Royal et en l’encourageant à persévérer. Mais elle marche sur ses plates-bandes ; s’il est vrai que « la France n’a pas besoin de deux Sarkozy», comme l’a dit Dominique Strauss-Kahn, la deuxième peut encore faire passer le premier à la trappe. Bien sûr, les partisans de la sécurité et de l’ordre préféreront le modèle original, de la même manière que M. Sarkozy, qui, lui aussi ratisse très large, ne peut pas remplacer Jean-Marie Le Pen dans l’authenticité répressive. On peut néanmoins imaginer qu’une bonne partie de l’électorat de droite, déjà séduite par la dame Ségolène et par la mère de famille, se laisse conquérir définitivement dès lors qu’en plus elle la rassure.
EN CHOISISSANT SARKOZY COMME ADVERSAIRE PRIVILEGIE, MME ROYAL RENFORCE SON PROPRE STATUT
Qui est le meilleur ?
On verra d’ailleurs si son incursion presque militaire dans le domaine de la sécurité augmentera ou non son score dans les sondages. La semaine dernière, elle devançait largement Nicolas Sarkozy. Or sa cote est pour Ségolène un instrument essentiel : quand les autres candidats auront fini de l’accabler de leurs critiques et de leurs quolibets, elle prendra l’appareil du parti à témoin : qui peut battre le candidat de la droite, à part moi ? Bref, ça sent le roussi pour les Jospin, Strauss-Kahn, Lang et autres Fabius. Mme Royal s’efforce donc d’obtenir le serment d’allégeance du parti en devenant d’abord, et non ensuite, la coqueluche de l’opinion nationale. Personne, ni à gauche ni à droite, ne saurait négliger la force, donc le danger, qu’elle représente pour tous les autres candidats.
On insistera sur un point qu’elle a soulevé et qui n’est pas du tout négligeable : comme tout le monde, Ségolène Royal dresse le bilan de l’incivisme, qui traduit un abandon de l’éducation et de la formation au niveau des familles, de l’enseignement et de l’Etat. Elle a tout à fait raison d’avoir la nostalgie d’un service militaire qu’elle ne songe pas toutefois à réinstaurer. Aucun ancien appelé du contingent ne garde un souvenir ébloui de son service. Mais tous savent qu’il permettait un extraordinaire brassage social ; si les jeunes bourgeois découvraient le monde ouvrier, les enfants de famille pauvre découvraient aussi le monde extérieur à leur ghetto ou à leur campagne. En tout cas, il n’y a pas de meilleur endroit que l’armée pour apprendre la discipline, celle qui a disparu des écoles. La hiérachie militaire ne supporte guère la contestation. Elle la rejette aveuglément. Ce n’est pas du tout démocratique. Mais c’est le seul endroit où un râleur ne peut pas se contenter de faire valoir ses droits au mépris de ses devoirs. C’est le seul endroit où s’impose un code indestructible des relations sociales.
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