Arbitre, mais pas vraiment libre

Le choix de François

Publié le 25/04/2007
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M. BAYROU DEVAIT PRENDRE sa décision hier et l'annoncer l'après-midi au cours d'une conférence de presse solennelle. Comme tout amateur de football le sait depuis longtemps, la position d'arbitre est rarement enviable. Dans l'arbitrage qu'il est contraint à rendre, M. Bayrou risque de prendre beaucoup de coups. Lui qui s'est dressé contre l'Etat-UMP et rêve d'une VIe République subit aujourd'hui l'énorme pression du casse-noisettes de la bipolarisation.

Peu à gagner, beaucoup à perdre.

Nous ne sommes plus au premier tour, que, quoi qu'on en dise, M. Bayrou a perdu. Il n'y a pas de triangulaire possible.

Certes, le président de l'UDF peut fort bien rester sur sa réserve, en déclarant, par exemple, qu'il entend former un grand mouvement politique et qu'il présentera des candidats dans le plus grand nombre possible de circonscriptions aux législatives ; si cette tâche est irréalisable, il peut rendre leur liberté à ceux qui ont voté pour lui et qui, d'ailleurs, n'attendront pas qu'il leur donne sa bénédiction. En revanche, s'il fait un choix téméraire en direction de la droite ou de la gauche, il se trahira lui-même en quelque sorte, dans la mesure où il inscrit son action en dehors des idéologies.

Il nous semble toutefois qu'il a plus à perdre à soutenir Mme Royal que M. Sarkozy. Il nous semble en même temps que son coeur bat plutôt à gauche, non qu'il ait fait siens les principes du socialisme (bien au contraire, et, de ce point de vue, il est plus à droite que M. Sarkozy) ; mais il a été sincèrement indigné par l'autoritarisme de Jacques Chirac qui a refusé de lui laisser un peu d'espace vital. Il en a conçu une colère qui l'a conduit à s'adresser directement au pays ; il a incité ses députés à voter contre les gouvernements de M. Chirac et il a mené une campagne beaucoup plus dirigée contre M. Sarkozy que contre Mme Royal.

POUR MESURER L'INFLUENCE DE BAYROU, IL SUFFIRA DE VOIR QUI IL REJOINT ET QUI GAGNE.CE NE SERA PAS FORCEMENT LE MEME

Il y a quelque temps, quand l'UMP voulait que l'UDF fût classée dans l'opposition, il s'est battu de toutes ses forces pour qu'elle rengaine son idée. Mais, si M. Bayrou n'est pas à gauche, il est bel et bien dans l'opposition contre l'UMP et il ne saurait rentrer dans le rang aujourd'hui sans perdre sa raison d'être. Ce serait en tout cas un immense aveu d'échec.

Un ralliement, sous la forme de la «convergence d'idées» décelée par Ségolène Royal, jetterait la panique dans l'appareil de l'UDF, dont nombre d'élus doivent leur siège aux accords passés avec l'UMP. Certes, M. Bayrou peut conclure avec le PS des accords électoraux identiques. C'est-à-dire qu'il peut tourner la page et survivre malgré tout.

Pain blanc.

Encore faut-il qu'il soit suivi dans une telle démarche, que les élus UDF acceptent d'emprunter un chemin où ils se sentiront dénaturés et que M. Bayrou lui-même soit à l'aise en compagnie des socialistes et des Verts, pour ne pas parler des éléments de la gauche extrême qui ne manqueront pas de voter Ségolène au second tour. Le leader centriste arbore sa satisfaction, comme si les 18,50 % des suffrages qu'il a recueillis représentaient la récompense suprême de ses efforts ; mais non, la récompense qu'il espérait, c'était en réalité de supplanter Mme Royal et de se retrouver face à face avec Nicolas Sarkozy qu'alors, avec le soutien de la gauche, il aurait pu battre. Il était l'ennemi des deux, peut-il devenir l'ami de l'un des deux ? Dans l'entre-deux-tours, il ne peut que bomber le torse, exiger 48 heures pour rendre sa réponse aux deux candidats, et se comporter en gourou de son électorat. Le 5 mai, il aura mangé son pain blanc.

On aura néanmoins noté que Mme Royal et M. Sarkozy ont joué le jeu, en sollicitant gentiment et modestement M. Bayrou. Mme Royal lui a passé un coup de fil, ne l'a pas trouvé, a laissé un message dont la réponse est de près ou de loin liée au destin du pays ; M. Sarkozy lui a lancé un appel public.

Mais François Hollande, qui fut le premier, avant le scrutin de dimanche dernier, à rejeter l'idée de Michel Rocard d'une alliance Royal-Bayrou, estime froidement que M. Bayrou est «placé devant ses responsabilités», comme si l'hypothèse du choix de la droite par M. Bayrou était aux yeux du premier secrétaire une monstruosité. Du côté de M. Sarkozy, on travaille en coulisse : les liens de l'UDF avec l'UMP sont assez nombreux, les chefs UDF (Robien, Douste-Blazy, Santini) qui ont rejoint le candidat UMP sont assez puissants pour que le mouvement centriste soit soumis à une pression sans précédent.

A la limite, on ne voit pas comment M. Bayrou pourrait résister à l'appel de M. Sarkozy, sauf à poursuivre ce qui, de toute façon, a été, est et demeure une entreprise personnelle, et donc à se couper de son parti. Quitte à aller chercher des centristes de coeur dans l'électorat qu'il a réuni avant le premier tour. Mais cela s'appelle repartir de zéro.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que ni Mme Royal, en dépit de sa déférence apparente pour M. Bayrou, ni M. Sarkozy ne vont faire au chef centriste une offre irrésistible. Ils savent tous les deux que les électeurs sont libres et que les bayrouistes reprendront leur liberté sans qu'on le leur suggère. On peut très bien imaginer un cas de figure où M. Bayrou apporterait à la candidate socialiste un soutien éclatant sans pour autant qu'elle remporte le second tour. Et le cas de figure inverse. Pour mesurer l'influence réelle de M. Bayrou, il suffira de voir qui il rejoint et qui gagne : ce ne sera pas forcément le même.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8155