U ne exposition sur le chocolat dans les locaux de l'Ordre des pharmaciens. Voilà de quoi étonner. Qu'est-ce qui a priori rapproche l'institution ordinale des pharmaciens de France du délicieux aliment ? Sans doute les adeptes de la fève du cacaoyer comptent-ils dans leurs rangs de nombreux potards, mais cela suffit-il à justifier l'initiative ? Certes non. On se souvient alors que le chocolat est réputé pour ses vertus apaisantes, voire antidépressives ; la corrélation devient déjà plus claire, mais cela encore n'est pas un argument suffisant.
« Alimenteux et médicament »
La rencontre des deux mondes, ceux de la chocolaterie et de la pharmacie vient en fait d'une coïncidence de l'histoire : car avant de devenir le siège social de l'Ordre national des pharmaciens, le 4, avenue Ruysdaël, à Paris, était, jusqu'à la fin du XXe siècle, l'hôtel particulier d'un certain Gaston Menier, manufacturier-chocolatier, petit-fils de Jean-Antoine Brutus, qui fut lui-même simple droguiste, puis... pharmacien. L'exposition inaugurée aujourd'hui est le fruit de cette double coïncidence. Mais si son objet peut paraître un peu futile, son traitement s'annonce aussi sérieux que passionnant.
Car ne nous y trompons pas, le chocolat est aussi affaire de pharmacien. Et comme le déclare en 1785 Buc'hoz, médecin de Louis XVIII, « le chocolat n'est pas seulement alimenteux, mais il est encore médicament ». Le chocolat-médicament a pendant longtemps été préparé par les apothicaires (voir encadré). Les magnifiques pots à pharmacie appartenant au droguiste Menier, présentés dans l'exposition, en témoignent.
Une lutte ancienne contre les falsifications
Avant de les admirer, on aura pu passer par la magnifique devanture d'apothicairerie du XVIIIe siècle récemment acquise grâce à une souscription lancée par l'Ordre des pharmaciens et qui orne désormais l'entrée du musée de la Pharmacie. Tout de suite à droite en entrant dans l'exposition, le petit « coin gourmand », aménagé grâce au talent scénographique de l'historienne Katherine Khodorowsky, fait découvrir au visiteur ce que sont une chocolatière, un moussoir et une trembleuse. La papille frémit déjà. Veut-on en savoir un peu plus sur la cacaoculture ? Qui produit et qui consomme le chocolat ? Comment la colonisation a contribué au développement du commerce du cacao ? Deux magnifiques planisphères exposées dans la salle principale répondent en images et en textes à ces questions.
Quant aux impressionnantes cabosses, prêtées par le CIRAD (Centre d'information et de recherche agronomique et de développement), elles donnent à voir le chocolat dans son habit le plus brut.
Le regard que l'on porte sur les superbes affiches publicitaires qui vantent les mérites du chocolat permettent d'apprécier le poids de la tradition dans l'histoire industrielle de la célèbre fève. « Une histoire qui, dès le XVIIe siècle, est marquée par la lutte contre la contrefaçon », souligne Dominique Kassel, commissaire général de l'exposition. « La petite-fille Menier » des premières affiches ne scande-t-elle pas « Méfiez-vous des contrefaçons !» ? On le voit, la polémique ranimée par la directive européenne « cacao-chocolat » autorisant l'apport de matières grasses ne date pas d'hier. A l'époque, - voir le « Traité des drogues simples » écrit en 1727 par Nicolas Lemery -, ce sont des pharmaciens qui avaient défendu la pureté du chocolat. Que l'Ordre des pharmaciens remette la question à l'honneur en 2001 n'est que la continuation d'une entreprise qui appartient désormais à l'histoire de la profession.
* L'exposition (4, avenue Ruysdaël, 75008 Paris) est ouverte au public, sur réservation (tél. 01.56.21.35.24), du 15 septembre au 28 décembre, les lundis de 14 h à 20 h 30 et du mardi au vendredi de 14 h à 18 h ; renseignements sur le site www.ordre.pharmacien.fr. Des conférences sont prévues sur quatre thèmes, dont « Chocolat et santé ». L'exposition a été réalisée grâce au partenariat actif du CIRAD, de la bibliothèque Forney, du centre de l'Affiche-Mairie de Toulouse, du musée de la Matière médicale Paris-V et de Melody SA .
Aliment, excipient ou médicament ?
Au XVIIIe siècle, le cacao est essentiellement utilisé comme excipient d'enrobage par les apothicaires pour faire passer le goût amer des pilules. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour le voir utilisé comme excipient (beurre de cacao) dans la fabrication des suppositoires. Mais, incontestablement, l'âge d'or du « chocolat de santé » est le XIXe siècle, au cours duquel on trouve en pharmacie : du chocolat purgatif à la poudre de Jalap, du chocolat ferrugineux à la limaille de fer porphyrisée, du chocolat fortifiant au goudron, du chocolat antivénérien ou encore les poudres de vipère, de cloporte, de foie d'anguille aromatisées au chocolat...
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