«VINCENT ne souffrait pas physiquement. Je suis formel. Ce jeune avait besoin d'être encouragé à vivre. Il ne fallait surtout pas entrer dans son jeu», déclarait Hervé Messager peu après la mort du jeune hémiplégique, au centre héliomarin de Berck-sur-Mer, le 26 septembre 2003. Kinésithérapeute dans cet établissement de rééducation, il avait pris en charge pendant deux ans Vincent Humbert et avait noué avec lui des liens d'amitié. Un mois après son décès, à la suite de l'administration, par sa mère, d'une forte dose de barbituriques et du débranchement, par le Dr Frédéric Chaussoy, du respirateur qui le maintenait en vie, « le Réveil de Berck », hebdomadaire local, publiait un « Message à Vincent » signé de son kiné. «Je t'aimais bien, tu sais, pouvait-on lire dans ce texte. Mais ce qui me rend triste et révolté aujourd'hui, c'est de savoir que beaucoup de monde s'est servi de ta souffrance morale pour faire de ta mort un hymne à l'euthanasie, alors que ta seule demande était, à défaut d'un suicide assisté, la simple aspiration à une vie différente, voire meilleure (...) Je hais les médias et les associations qui ne t'ont pas reconnu, mais ont provoqué ton destin fatal.»
Selon Hervé Messager, le jeune homme, hémiplégique, atteint d'un syndrome frontal, «n'avait pas envie de mourir, mais il a été forcé. La veille du geste de sa mère, le 23septembre, raconte- t-il, on blaguait encore tous les deux. Il y a beaucoup de patients qui demandent un jour à mourir. On discute un peu, on les apaise, et on n'en entend plus parler pendant six mois».
Mobilisation ou désinformation.
Ce témoignage recoupe ceux de plusieurs membres de l'équipe soignante. «La position unanime du service, médecins et soignants, expliquait ainsi en octobre 2003 le chef de service de rééducation fonctionnelle du centre héliomarin, le Dr Pascal Rigaux, était d'aider Vincent en lui proposant sans relâche un projet de vie. Mais tous ces efforts ont été mis en échec. Un énorme plan média a été orchestré, et nous avons eu très vite l'intime conviction qu'un mouvement très expérimenté dirigeait de l'extérieur toutes les opérations» (« le Quotidien » du 7 octobre 2003). Campagne de mobilisation pour les uns, opération de désinformation pour les autres, le plan média en question a provoqué une considérable onde de choc dans l'opinion.
Voilà donc que, quatre ans plus tard, à la veille de la diffusion sur TF1 du film « Marie Humbert, l'amour d'une mère », est lancée une autre campagne, destinée à contrecarrer la première. Lobby contre lobby. L'association SOS Fin de vie, qui déclare «regrouper des soignants et des soignés qui viennent en aide aux personnes confrontées aux épreuves de la fin de vie», a décidé de donner un retentissement maximal au témoignage d'Hervé Messager. Animée par le Dr Xavier Mirabel, un cancérologue qui préside aussi l'Alliance pour les droits de la vie, et se réclamant de l'Eglise catholique, elle milite «contre l'acharnement thérapeutique et contre l'euthanasie». La semaine dernière, elle a adressé à chacun des députés et des sénateurs, ainsi qu'à la plupart des rédactions, un cédérom intitulé « Vérité sur l'affaire Humbert, le kiné de Vincent parle… ».
«Je peux vous certifier que Vincent n'a rien écrit de son livre, y affirme M. Messager, il ne le pouvait pas. Marie prenait des notes, les donnait au journaliste qui faisait sa sauce, dans le sens où il voulait emmener l'opinion. Le film, comme le livre, c'est de la désinformation (...) Contrairement à ce qui a été médiatisé, Vincent n'était pas tétraplégique, mais doublement hémiplégique. Il n'était pas aveugle, comme on l'a prétendu, il n'avait pas qu'un doigt mobile.»
Autrement dit, les témoignages de Marie Humbert et du Dr Chaussoy, leurs livres et le film qui en a été tiré relèvent, selon lui, de la désinformation.
Ce film, après presque une année de rétention, sera finalement diffusé ce soir. «Nous voulons prendre à témoin la France entière, a expliqué au “Quotidien” le producteur Fabrice Bonanno, au sujet de la formidable histoire d'amour de cette mère qui a tout plaqué pour se vouer entièrement à son fils et qui a pris tous les risques personnels pour mettre à exécution sa demande d'en finir. Pour cela, nous nous sommes appliqués à suivre le fil des événements avec le maximum d'objectivité, sans prendre aucun parti. On peut dire que 98% des faits rapportés dans le film sont directement tirés de la réalité, seulement 2% d'entre eux relevant de la fiction, juste pour effectuer les liaisons indispensables entre les séquences.»
Mais tout le monde ne souscrit pas à cette revendication d'objectivité. Le Dr Rigaux est ainsi monté au créneau, après avoir analysé en détail le synopsis. «C'est une accumulation d'éléments tous plus misérabilistes les uns que les autres, accuse-t-il, qui trempent dans l'eau de rose et ne visent qu'à tirer des larmes de la ménagère de moins de 50ans.» Chef du service de neurologie d'Héliomarin, le Dr François Danzé abonde en ce sens, dénonçant «une opération indigne, qui vise à faire du pathos à bon marché sur une histoire qui a profondément bouleversé les membres de nos équipes» (« le Quotidien » du 6 septembre 2007).
Quant à Hervé Messager, sollicité par « le Quotidien », il s'est borné à indiquer que SOS Fin de vie dirigeait sa communication pour «faire éclater la vérité».
La production du film a, quoi qu'il en soit, adressé une copie de « Marie Humbert » à la présidence de la République, Fabrice Bonanno exprimant son « espoir que Nicolas Sarkozy se saisisse personnellement du sujet, à bras-le-corps, selon le style qu'on lui connaît». Enjeu, une révision de la loi du 22 avril 2006, loi droit des malades et fin de vie, adoptée après l'affaire Humbert. L'ADMD ou l'association Faut qu'on s'active demandent son assouplissement. Mais le président de la République a également trouvé dans son courrier le dossier de SOS Fin de vie, qui récuse haut et fort la pièce à conviction télévisuelle qui va être diffusée ce soir. A défaut, dans l'immédiat, d'un débat parlementaire, ce sont donc les lobbies qui s'affrontent. Comme si l'audimat, ce soir, allait s'ériger en tribunal des consciences.
* A 20 h 50.
Les dates de l'affaire Humbert
24 septembre 2000: Vincent Humbert, 19 ans, est victime d'un accident de voiture, avec syndrome frontal, qui le plonge dans neuf mois de coma et le laisse dans un état proche du locked-in syndrome.
16 décembre 2002: publication de la lettre adressée à Jacques Chirac dans laquelle Vincent, hospitalisé au centre héliomarin de Berck-sur-Mer, demande le droit de mourir.
24 septembre 2003: Marie Humbert, qui vient voir son fils tous les jours, choisit la date anniversaire de l'accident pour tenir sa promesse de l'aider à en finir et injecte une forte dose de barbituriques dans sa sonde gastrique ; il tombe dans un coma profond et est transféré en réanimation, dans le service du Dr Frédéric Chaussoy.
26septembre 2003: mort de Vincent ; le Dr Chaussoy, après concertation avec son équipe de réanimation, a arrêté le respirateur et injecté du chlorure de potassium.
13 et 14 janvier 2004: mise en examen du Dr Frédéric Chaussoy, pour empoisonnement avec préméditation (la peine pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité), et de Marie Humbert, pour administration de substances toxiques commise avec préméditation et sur personne vulnérable.
27 février 2006: non-lieu pour le Dr Chaussoy et Marie Humbert, «l'élément moral» prévalant sur «l'élément matériel et légal», selon les termes du parquet.
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