« L’objet de l’avis qui nous a été demandé n’est pas de proposer ou non la commercialisation d’un autotest mais de donner les éléments de réflexion qui permettent à la société et aux autorités sanitaires de décider s’il le commercialise ou pas », a prévenu le Pr Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), à l’occasion de la présentation de l’avis ce lundi 25 mars.
Comme le Conseil national du sida (CNS), le CCNE avait été sollicité par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui à la suite de l’autorisation le 3 juillet dernier par les autorités américaines d’un test rapide d’orientation diagnostique salivaire (Oraquick) en tant qu’autotest, s’interrogeait sur les problèmes posés par une telle commercialisation en France.
Si la lecture en termes de bénéficies/risques a conduit le CNS à émettre un avis favorable à la commercialisation du test mais avec des recommandations sur les modalités de son utilisation, l’avis du CCNE est plus nuancé. Les deux instances se sont d’ailleurs rencontrées lors d’une séance commune. « Nous avons réfléchi ensemble et avons adopté des démarches complémentaires mais différentes », a souligné le Pr Ameisen.
Et tout comme le CNS, la position du CCNE a évolué par rapport à son avis n° 86 de novembre 2004 marqué par « la méfiance, les réserves négatives », explique le Pr Jean-Louis Vildé, infectiologue et rapporteur de l’avis.
Un constat partagé : 20 % de personnes qui ignorent leur séropositivité
Car le constat est le même. Malgré les progrès thérapeutiques, malgré les efforts de dépistage (5,2 millions de sérologies pratiquées en France), l’épidémie reste active avec 6 000 à 7 000 nouvelles infections chaque année et avec, parmi les 150 000 personnes infectées, une proportion de 20 % qui ignorent leur séropositivité. Il est admis par ailleurs, que « 70 % des nouvelles contaminations proviendraient des personnes qui ne se savent pas infectées », précise le Pr Vildé.
Parmi ces dernières, « un travail récent de Dominique Costagliola, non encore publié, montre qu’un tiers sont des hommes ayant des relations avec d’autres hommes, un tiers sont des migrants principalement d’Afrique sub-saharienne et un tiers des personnes de la population générale », poursuit le rapporteur. L’enjeu est d’arriver à atteindre ces personnes et à les amener à se faire dépister. Le CCNE note d’ailleurs que parmi les arguments avancés par la FDA pour autoriser le test, l’enjeu de santé publique a été très important, avant même celui de la santé individuelle même « s’il existe un intérêt individuel pour la personne car on sait que la précocité du traitement est un élément majeur de son efficacité ».
Le dépistage repose sur la solidarité nationale
Toutefois s’il peut exister des similitudes le contexte américain et la situation française, en particulier le pourcentage de ceux qui ignorent leur séropositivité (20 %) mais avec une prévalence du VIH une fois et demi supérieure, le CCNE pointe des différences. L’organisation et les modalités d’accès au dépistage sont fondées sur la solidarité nationale, avec une prise en charge complète par l’assurance-maladie, un accès possible sur l’ensemble du territoire et un accompagnement par un professionnel ou un membre d’une association capable en cas de séropositivité d’aider et d’orienter la personne vers une prise en charge.
Les tests pris en charge par l’assurance-maladie, test ELISA et TROD sont plus fiables et ont une meilleure sensibilité que l’autotest salivaire proposé par la FDA. « La période de séronégativité qui suit l’infection, est, pour le test de référence, le test ELISA, utilisé dans les CDAG actuellement de 10 à 15 jours alors que dans le cas des autotests salivaires, elle est de plusieurs semaines et jusqu’à 3 mois », relève le Pr Ameisen. De plus, quel que soit le test, « la sensibilité est moins bonne lorsqu’il est réalisé par un non professionnel non formé que s’il l’est par un professionnel », ajoute le Pr Vildé.
Responsabilité individuelle et collective
Ce problème des faux négatifs entraîne « une perte de chance » pour l’individu et « pose un problème de responsabilité individuelle et collective », poursuit le Pr Ameisen. Le CCNE souligne que cette responsabilité peut concerner les autorités et les fabricants « qui mettent à disposition et autorisent des dispositifs, dans le cas où ceux-ci, pouvant avoir un intérêt pour la santé publique, comporteraient un risque de nuisance pour la personne si leur fiabilité et leur sensibilité étaient insuffisantes ».
Il s’interroge sur la difficulté du message qui consiste à « demander à des personnes qui utiliseraient l’autotest parce qu’elles sont réticentes à entrer dans le système actuel de dépistage accompagné, de réaliser, après leur autotest, et quel qu’en soit le résultat (positif ou négatif), une confirmation par un test ELISA dans le cadre même du dispositif qu’elles souhaitent éviter ». Et le CCNE d’insister : « il sera difficile aux autorités de faire comprendre aux utilisateurs d’un autotest que son résultat doit être confirmé qu’il soit positif, ou surtout, paradoxalement, négatif ».
Risque de pression sur l’individu
Du point de vue de l’individu, si la mise à disposition d’un autotest peut lui permettre de gagner « en autonomie et en liberté », la simplicité même de réalisation de ce test « peut se retourner contre lui » et « faciliter la pression immédiate d’un partenaire, d’un proche » ou permettre « dans un contexte familial ou professionnel, la contrainte exercée sur une personne dans le but de lui faire réaliser un autotest et d’en lire immédiatement le résultat ».
Des recommandations
Ces observations amènent le CCNE à proposer dans l’éventualité d’une commercialisation, que « les tests proposés comme autotests soient d’efficacité et de qualité comparables à celles des tests autorisés dans le cadre du dépistage actuel ». De ce point de vue, la sensibilité de l’autotest salivaire lui semble insuffisante - l’autotest sur sang total (goutte prélevée au doigt) semble plus efficace.
Il recommande également l’élaboration de dispositions juridiques permettant de garantir l’autonomie et la confidentialité de l’usage des autotests.
Parmi ses autres préconisations, le comité suggère une vente dans les pharmacies, voire sur leurs sites Internet, une obligation faite aux fabricants de donner une information claire sur les centres de dépistage anonyme et sur les limites du test, ainsi que la mise en place d’une ligne téléphonique permanente et gratuite de conseils, en particulier pour ceux qui penseraient, à tort ou à raison, s’être détecté séropositif ou qui demanderait un soutien dans le cadre d’une consultation médicale.
La mise à disposition du test devra être accompagnée d’un renforcement de l’effort de prévention, notamment du dépistage « accompagné » tandis qu’un accès gratuit aux autotests serait possible dans des infirmeries scolaires du secondaire et à l’université, mais aussi chez certains médecins « motivés ». Une évaluation épidémiologique régulière devra être mise en place afin de « reconsidérer le bien fondé de cette mesure si le but recherché n’était pas atteint ».
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