Alors qu'il vient tout juste de voir le jour après presque trois ans d'attente (« le Quotidien » du 13 octobre), le dispositif de reconversion à la médecine du travail laisse perplexes les médecins généralistes libéraux - les principaux intéressés -, tant il ressemble à un casse-tête chinois.
« J'aurais aimé m'y engager mais tout est fait pour m'en dissuader », déplore un candidat à la reconversion, généraliste installé en Seine-et-Marne et souhaitant garder l'anonymat. « Tout est à la discrétion des enseignants, on ne connaît pas les critères d'inscription, tout est extrêmement flou.Pour bénéficier de ce dispositif de reconversion à la médecine du travail, il faut être installé depuis plus de cinq ans et donc avoir un cabinet libéral qui marche. Mais il faut aussi avoir un employeur [un service de santé au travail, NDLR] . Or les employeurs rechignent à payer les médecins en formation car ils doivent faire un stage de six mois en CHU. Et si on ne trouve pas d'employeur, on ne rentre pas dans le dispositif. Enfin, poursuit ce candidat généraliste, si l'on doit fermer son cabinet, encore faudrait-il savoir quand commence la formation ! » Telle est la question... à laquelle personne aujourd'hui n'est en mesure de répondre.
Au ministère des Affaires sociales, le Dr Monique Larche-Mochel, chef du service de l'inspection médicale du travail, le reconnaît bien volontiers : le nombre de places disponibles dans les universités pour former les généralistes libéraux à la santé au travail relève d'une « équation à plusieurs inconnues ». Certes, grâce au décret publié le 8 octobre (1), on connaît l'organisation globale de la formation spécifique mise en place à titre provisoire jusqu'en janvier 2007. Dispensée à temps complet et en alternance (parties théorique et pratique), elle sera rémunérée et permettra aux généralistes volontaires d'obtenir en deux ans une « capacité en médecine de santé au travail et de prévention des risques professionnels ». Mais « le dispositif n'est pas encore complété », rappelle le Pr Françoise Conso, PUPH en pathologies professionnelles à la faculté de Cochin. Il manque en effet deux arrêtés, celui fixant les règles et le contenu pédagogique de la formation et celui déterminant l'indemnité plafonnée versée aux généralistes par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) en contrepartie de leur cessation d'activité en cabinet libéral. Par ailleurs, précise le Dr Larche-Mochel, « une incertitude » subsiste au sujet du calcul du nouveau temps médical prévu par un prochain décret à paraître dans le cadre de la réforme de la santé au travail. Enfin, avant que ce nouveau dispositif de formation ne puisse se mettre en place « il faut que les universités soient habilitées par le ministre, après avis du CNESER » (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche), souligne le Pr Conso. Vingt universités sur trente (dont une seule en Ile-de-France, celle de René-Descartes) ont demandé leur habilitation pour former les médecins libéraux à la santé au travail, ce qui « assure une couverture globale de la France », selon ce professeur. Comme le CNESER ne pourra se prononcer sur ces habilitations avant le mois de décembre, « on est aujourd'hui complètement en stand-by, constate le Pr Conso. S'il faut commencer la formation à cette rentrée universitaire, on la commencera en janvier. De toute façon, les inscriptions ne sont pas encore ouvertes : ce n'est pas la peine que les candidats se précipitent dans les facultés », ajoute-t-elle. Ce PUPH leur conseille plutôt de « se rapprocher des services de santé au travail pour connaître l'offre d'emploi ». Le décret paru le 8 octobre prévoit en effet de faire payer à l'employeur (2) les frais d'inscription à l'université et la rémunération de chaque médecin en cours de formation, après signature d'un contrat liant le praticien à son employeur « pendant au moins quatre ans ».
La reconversion des généralistes est par conséquent subordonnée à leur recrutement préalable par un service de santé au travail (ou de prévention dans le secteur public). Mais la pénurie actuelle de médecins du travail pourrait être en partie résorbée d'un coup de baguette magique grâce au prochain décret sur la réforme de la santé au travail. Selon Gabriel Paillereau, délégué général du CISME (regroupant 350 services interentreprises desanté au travail), chaque médecin du travail pourrait être amené à surveiller désormais « 3 300 salariés au lieu de 2 850 à 2 900 », en raison de l'espacement des visites médicales de un à deux ans (sauf exceptions). « Il est clair que le nouveau calcul du temps médical peut inciter certains services à ne pas embaucher alors qu'ils ont un effectif suffisant », indique le délégué général du CISME.
Non seulement il est difficile d'évaluer pour l'instant les besoins des employeurs en termes d'embauche, mais on ne connaît pas non plus le nombre de candidats. Le Pr Conso a constitué un fichier d'environ « 200 candidatures » en Ile-de-France. Mais, précise-t-elle, « cela ne signifie pas qu'ils iront tous jusqu'au bout, d'autant que l'obligation d'exercer à temps plein décourage pas mal de gens ». Le Dr Jean-Guy Marc, installé depuis 1984 à Blagnac (Haute-Garonne), ne cache pas qu'il fera son choix « en fonction de la rémunération et de la prime pour le rachat de (sa) clientèle - ce serait la cerise sur le gâteau ».
Le Dr G., urgentiste en Ile-de-France, se dit prêt lui aussi à changer de voie. Cependant, depuis qu'il sait que « seulement 24 à 30 places seront disponibles à Paris et en région parisienne », il commence à se demander si le dispositif de formation « ne va pas simplement s'adresser à quelques heureux élus après une grande annonce ». Si l'on en croit le chiffre de « 186 places dans toute la France » avancé par Gabriel Paillereau et confirmé par le Pr Conso, la reconversion à la médecine du travail semble effectivement avoir suscité plus d'espoirs chez les généralistes que d'occasions.
(1) Il s'agit d'un décret d'application de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.
(2) L'employeur peut être l'Etat ou un établissement public, ou une entreprise ou un service interentreprises de santé au travail dans le secteur privé.
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