LA MÉDECINE LÉGALE aura été implacable pour Mme Courjault puisqu’elle a établi, sans conteste possible, qu’elle et son mari étaient bien les parents des deux nouveau-nés dont les cadavres avaient été placés dans le congélateur de l’appartement du couple à Séoul.
C’est pratiquement la science médicale qui a conduit l’enquête dans cette affaire : non seulement l’analyse de l’ADN a confondu Mme Courjault, mais elle n’a pu accoucher (à trois reprises) qu’avant 2003, année pendant laquelle elle a subi une ablation de l’utérus qui serait consécutive à une infection, elle-même déclenchée, affirment quelques journaux, par un accouchement dans des conditions défavorables.
Hypothèses.
Mais aussi définitif que soit le verdict de la science, il n’élucide pas le mystère. Et les hypothèses qui sont avancées ici ou là, par les psychiatres notamment, ne sont pas convaincantes. Si les faits, tels qu’ils nous ont été présentés, sont confirmés, la tragédie s’est déroulée entièrement dans le silence et le non-dit. Et les trois crimes ont au moins un point commun : l’absence de mobile. Car il paraît invraisemblable qu’une jeune femme française qui avait 33 ans au moment de son premier infanticide n’ait pas entendu parler de l’IVG ou n’ait pas eu le bon sens de préférer un avortement légal à une grossesse non désirée, et plus tard à un crime. Il n’est pas vraisemblable qu’elle ait ensuite récidivé deux fois. Il n’est pas vraisemblable que son époux n’ait jamais soupçonné aucune de ses trois grossesses. Il n’est pas vraisemblable que sa famille n’ait vu, ni dans son comportement ni sur son corps, un trouble extrême et une déformation minimale. Il n’est pas vraisemblable que Mme Courjault ait fait ses choix épouvantables tout en restant la personne la plus équilibrée du monde que ses proches décrivent. Il n’est pas vraisemblable qu’elle ait agi sous l’empire de la démence et que son entourage n’ait rien compris ou rien voulu comprendre.
EN DEPIT DES PREUVES SCIENTIFIQUES, PLUSIEURS INVRAISSEMENALNCES DEMEURENT
Car, bien entendu, les psychiatres s’appuient sur le refoulement ou les inhibitions qui mènent souvent à des situations atroces. Ils ne nous expliquent pas pour autant comment, si elle n’est pas frappée du syndrome de la double personnalité, Mme Courjault peut avoir été une personne calme et même placide, et en même temps cacher des secrets aussi pesants. Nous sommes tentés de dire qu’elle est, pour paraphraser Marguerite Duras, « forcément innocente » : en effet, ou bien elle n’a pas commis les faits dont elle s’accuse ; ou bien, pour les avoir commis, il faut qu’elle soit affligée d’une maladie particulièrement grave et certainement répertoriée dans les meilleures publications scientifiques.
Là où la médecine légale accumule les preuves qui accablent Véronique Courjault, la médecine psychiatrique accumule les discours littéraires. Si l’absence de logique explique un comportement qui, avant d’être criminel, est absurde et gratuit, on veut bien entendre des théories sur le « désir de la mère d’exercer sa puissance sur ses enfants en leur ôtant la vie » ou sur la capacité des criminels à dissimuler beaucoup de choses énormes et pendant un temps assez long. Or Mme Courjault n’accuse pas son double, mais elle-même. Elle assume. Elle ne prétend pas avoir entendu des voix. Elle se sent coupable. Et elle ne semble avoir repris ses esprits qu’au moment où la police l’a interrogée, après avoir vécu pendant sept ans dans un univers sinistre où un enfant peut être rejeté au point d’être étranglé mais aussi assez aimé pour être déposé dans un congélateur.
Le bien et le mal.
Qu’un malade mental se livre à des raisonnements extrêmement compliqués ou incompréhensibles, peut-être ; mais que la même femme soit alternativement mère de famille et infanticide, folle à lier et être humain qui a le sens du bien et du mal ? Les psychiatres seront à la peine pour décrire un cas de folie intermittente où de longues années d’une existence parfaitement normale succèdent à des accès très brefs de démence meurtrière.
Ils surmonteront sans doute cet obstacle et nous diront même que tout cela est possible. Mais ils ne nieront pas que c’est rare et que, dans ce qui va bien au-delà d’un fait divers ordinaire, la dimension tragique est exacerbée. Il y avait en effet dans les dénégations antérieures de Véronique Courjault une immense ingénuité, une attitude du genre « cela va de soi », et une réaffirmation tellement glacée de sa « normalité » qu’on l’avait absoute sans vouloir y penser davantage. On avait soupçonné quelque officine sud-coréenne d’avoir monté le plus grossier des complots ; puis on n’a cessé de rappeler que Jean-Louis Courjault avait lui-même alerté la police sud-coréenne et ne l’aurait pas fait s’il avait soupçonné sa femme ou s’il avait été complice. Certes, il peut y avoir, dans le déclenchement d’une investigation par le coupable, le désir masochiste d’affronter le mal qui le ronge. Mais une telle perversité après avoir été comme tout le monde pendant quarante ans, c’est faire sauter bien vite les verrous moraux qui nous interdisent de commettre de tels actes.
L’affaire est certes morbide, mais elle est aussi fascinante par un mystère lourd, profond, insondable que n’ont levé ni la médecine légale ni, pour le moment, la psychiatrie contemporaine.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature