Pour Philippe Nuss et Marco Ferreri*, qui présentaient les données scientifiques récentes sur le cannabis, la question n'est pas de débattre de la dépénalisation de la drogue - ce point relève des pouvoirs publics -, mais de connaître l'ensemble des effets psychopharmacologiques du cannabis. Or l'entreprise n'est pas simple car il existe des variations individuelles importantes qui vont jusqu'à provoquer des effets opposés.
Cette caractéristique rend compte de la spécificité du cannabis à l'origine d'une certaine incohérence dans les résultats et les points de vue des experts. Le rapport du Pr Rocques, en 1998, a tenté d'éviter la tendance à la simplification en classant le cannabis parmi les drogues « à faible dangerosité » tout en introduisant les notions de dépendance, de neurotoxicité, de toxicité générale, de dangerosité sociale et d'effet cumulé avec d'autres drogues dont l'alcool. « Mais il reste des points critiquables, font remarquer les intervenants, dont le plus important semble résulter de l'absence de prise en compte des aspects psychopathologiques individuels et de la dimension de fragilité génétique. »
La revue des travaux scientifiques récents (1998-2001) sur le sujet montre que les critères d'appréciation de la dangerosité du cannabis sont aussi nombreux que ceux en faveur de sa banalisation. Plusieurs points cependant ont été soulignés par les spécialistes.
Le premier concerne les difficultés méthodologiques des essais qui ne sont pas menés en conditions réelles de doses et de contenu. En effet, le cannabis contient en quantités variables plusieurs substances psychotropes : le tétrahydrocannabinol (delta9-THC), le cannabidiol (CBG), le cannabinol et le cannabigerol (CBG), qui peuvent moduler l'action psychotrope globale. Or les produits utilisés dans les essais cliniques ne correspondent pas forcément, en quantité et en contenu, à ceux des consommateurs (herbe, résine...). Une standardisation des essais correspondant aux conditions réelles d'utilisation est donc nécessaire pour interpréter les résultats obtenus.
Le second point concerne la variabilité de l'activité psychotrope du cannabis : selon la dose, les habitudes de consommation, l'humeur du moment, des effets parfois opposés peuvent se manifester simultanément ou successivement. Cet aspect peut difficilement être pris en compte dans les études cliniques.
Au plan psychologique, on sait que le cannabis agit sur le cortex, le système limbique, l'hypophyse, l'hypothalamus, et le cervelet par l'intermédiaire de récepteurs spécifiques (CB1 et CB2) et de ligands endogènes dérivés de l'acide arachidonique (phospholipides). Tous les essais chez l'animal et chez l'homme ont montré qu'il induisait d'importants troubles mnésiques associés à une hypofrontalité. La drogue agit sur les processus intentionnels, les apprentissages, la rapidité procédurale et la dextérité.
Un rôle à définir dans les troubles psychiques
Les tests de blocage et de renforcement des récepteurs ont également montré son implication dans les processus de dépendance. Le rôle du cannabis dans la survenue de troubles psychiques reste à définir. « Malgré de nombreuses incertitudes pharmacologiques, les travaux scientifiques viennent conforter les impressions cliniques négatives chez les jeunes usagés présentant des troubles psychopathologiques », explique les spécialistes. En effet, il arrive fréquemment que le cannabis soit impliqué dans l'aggravation de pathologies telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires ou les troubles paniques (le cannabis sensibilise, provoque des rechutes ou des résistances au traitement). « Enfin, rappellent les auteurs, malgré son origine naturelle, le cannabis n'est pas dénué de toxicité somatique : il a les effets délétères du tabagisme sur les voies respiratoires, la croissance foetale et il provoque des troubles du comportement chez le nouveau-né. »
* Psychiatres à l'hôpital Saint-Antoine (Paris).
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