DE TRÈS FORTES inégalités sociales de mortalité existent en France. Dans la population masculine, entre 30 et 65 ans, le risque de décéder est double chez les ouvriers par rapport aux cadres et professions libérales, pour la période 1980-1989*. Le constat n'a rien d'inédit. En revanche, une équipe de chercheurs de l'INSERM vient d'apporter un éclairage sur les seules victimes du cancer en fonction de leur niveau d'instruction : sans diplôme, certificat d'études primaire, BEP ou CAP, diplôme supérieur ou égal au baccalauréat (voir encadré). Pour les Français, il est constaté, entre 1975 et 1990, un « indice relatif d'inégalité » (IRI, voir encadré) de 1,9, toutes tumeurs malignes confondues, contre 1,2 chez les Françaises.
Chez les hommes, les différences sociales ont une forte influence sur la mortalité par cancers des VADS (cavité buccale, larynx, pharynx) et de l'oesophage. Elles ont en revanche peu d'impact pour le cancer du foie et n'entrent pas en ligne de compte pour les localisations cancéreuses touchant au côlon, au pancréas, à la vessie, au rein, ou encore aux tissus lymphatiques et hématopoïétiques. Pour les femmes, globalement, aucune relation claire n'apparaît entre le statut socio-économique et la mortalité. Néanmoins, on trouve un IRI supérieur pour la mortalité par cancers de l'utérus, du poumon et de l'estomac. Quant au cancer du sein, les décès sont plus nombreux parmi les diplômées. La sous-mortalité par cancer du sein des sans-diplômes, observée au début des années 1970, disparaît à la fin de la décennie 1990.
Côté masculin , tabac et/ou alcool constituent des facteurs de risque majeurs de cancers du poumon et des VADS. «Toutefois, on dispose de peu de données sur l'évolution temporelle des différences sociales de consommation en France», concèdent les auteurs. En outre, il a été montré que le tabagisme pour le cancer du poumon et la cigarette associée aux boissons alcooliques pour le cancer des VADS ne permettaient pas à eux seuls «d'expliquer les inégalités» liées à ces tumeurs malignes. «Il est possible qu'il existe aussi des inégalités sociales de survie, en particulier pour les cancers des VADS», avec une espérance de vie moins bonne parmi les plus défavorisés socialement, qui utilisent moins ou mal le système de santé.
Pour l'avenir, concluent en substance les auteurs, il serait important de comprendre les conséquences des améliorations de traitement ou de la mise en place de dépistage systématique du point de vue des inégalités sociales de santé, y compris les retombées potentiellement négatives. «De tels effets peuvent se produire si ces changements profitent plus largement aux personnes issues de groupes sociaux favorisés. Les politiques de santé doivent empêcher leur apparition.»
* Desplanques G. « L'inégalité sociale devant la mort. Données sociales. » Paris : INSEE ; 1993 : 251-8.
Les conditions de l'étude
Gwenn Menvielle, Annette Leclerc, Jean-François Chastang et Danièle Luce, chercheurs de l'INSERM (U687, Villejuif), ont passé au peigne fin de l'épidémiologie l'échantillon démographique permanent de l'INSEE, représentatif d'environ 1 % de la population française, complété par les données du centre d'épidémiologie sur les causes de décès de l'INSERM. Ils ont considéré quatre périodes d'une même durée (1969-1974, 1975-1981, 1982-1988, 1990-1996) chez les 30-64 ans. Les différences sociales de mortalité sont caractérisées à l'aide d'indices relatifs d'inégalité (IRI). Un IRI supérieur à 1 signifie que le risque de décès augmente lorsque la situation sociale diminue.
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