EN 1798, le gouvernement du Directoire achète du blé à la Régence d'Alger pour les besoins de l'expédition de Bonaparte en Egypte. Pour payer ce blé, la France, curieusement, fait un emprunt auprès des familles juives d'Alger, qui demandent une garantie du dey, souverain de convenance installé là par les Ottomans. Comme quoi, les juifs sont parfois utiles.
Vingt-neuf ans plus tard, le prêt n'est toujours pas remboursé et le consul de France, M. Deval, refuse, non sans arrogance, de donner suite à l'affaire. Indigné, le dey le frappe du manche de son chasse-mouches. Il faudra trois ans à la France pour ruminer sa vengeance. Le 14 juin 1830, les troupes françaises débarquent sur la plage de Sidi-Ferruch et le dey capitule le 5 juillet.
L'incident est clos ?
On notera les similitudes et les différences de cette vieille anecdote, qui a donné naissance à une vaste et coûteuse entreprise coloniale, avec ce qui se passe en ce moment à Alger. Les propos du ministre des Anciens Combattants, soutenu en l'occurrence par le secrétaire général des Moudjahidine, Saïd Abadou, qui estimait que M. Sarkozy n'était pas le bienvenu, et par Mohamed El-Korso, historien, qui exige que les massacres de Sétif (1945) soient reconnus comme crimes contre l'humanité, pourraient être considérés comme un nouveau camouflet d'Alger.
Ils expriment un antisémitisme viscéral, ils ne s'embarrassent guère de la dignité d'un chef d'Etat étranger et ils auraient dû déclencher un tollé non pas en France, mais en Algérie, où ils ont été accueillis avec la plus grande indifférence, sans doute parce que le rappel des vagues origines juives d'un président et d'un ministre français, proposées comme explication d'une politique prétendument pro-israélienne ou antialgérienne, était suffisant.
Interrogé jeudi dernier, le président de la République a indiqué que le chef de l'Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, auquel il avait demandé des explications, l'avait appelé au téléphone pour lui dire qu'il ne partageait pas l'opinion de son ministre. Et que l'incident était clos.
Il ne l'est que parce que M. Sarkozy, ravalant sa propre indignation, n'a pas voulu déclencher l'énorme crise diplomatique à laquelle le conviait le courant antifrançais d'Algérie. Il ne l'est que parce que la France et l'Algérie sont liées par tant d'accords, commerciaux, notamment, qu'elles ne peuvent pas divorcer en un clin d'oeil. Il ne l'est que parce que, en définitive, l'antisémitisme arabe est tellement répandu que, de guerre lasse, ses victimes y font à peine attention.
Tel n'est pas l'avis de Pierre Moscovici, ancien secrétaire d'Etat socialiste aux Affaires européennes, qui, lui, ne considère pas l'incident comme clos. Et il a raison. M. Bouteflika prétend qu'il ne partage pas les idées de son ministre, mais, dans ce cas-là, il aurait dû le limoger ; et s'il ne l'a pas fait, c'est parce que le langage antisémite et l'explication de la crise israélo-palestinienne par l'influence de sionistes éparpillés dans le monde font fureur dans le monde arabe, où l'on préfère nier le droit des Israéliens de vivre chez eux en les accusant de tous les vices. De toute façon, le délire antisémite n'est jamais sanctionné dans le monde arabe ; il y est plutôt encouragé car il donne un os à ronger à des populations pauvres, soumises à des régimes autoritaires. De ce point de vue, l'Algérie n'a pas été contaminée par le virus démocratique ; elle combat son propre intégrisme islamiste par la classique recherche du bouc émissaire juif, au point de transformer en juifs des personnages qui ne le sont pas ou dont ce n'est pas la première qualité.
Un climat malsain.
«Je pense que cette visite se déroule dans un climat malsain; je pense que (M. Sarkozy) y va (en Algérie) de fort mauvaise humeur», a dit M. Moscovici. On ne peut que rejoindre la position de cet élu socialiste. Rien ne nous oblige, en France, à « comprendre » ou à avoir de l'indulgence pour des méthodes de gouvernement fondées sur l'intolérance, sur une analyse politique qui insulte l'intelligence et sur une haine cultivée avec une ardeur suspecte.
Les Algériens doivent savoir que les Français ne sauraient s'accommoder de ce genre de comportement. Comme d'autres pays arabes, l'Algérie devrait être en mesure d'affiner sa réflexion sur la question israélo-palestinienne. Il n'est pas interdit de renoncer à l'outrance et à la violence.
Sur l'autre plan, celui du devoir de mémoire que nous devrions accomplir à propos des atrocités commises par la France en Algérie, il n'est pas possible de le distinguer des atrocités commises par le FLN ; il n'est pas possible d'oublier les crimes de la colonisation, pas plus que les attentats meurtriers des insurgés, pas plus que la fuite historique des pieds-noirs qui, vivant sur la terre algérienne, avaient le droit d'y rester, pas plus que le sort des harkis, qui nous ont aidés militairement et auxquels nous n'avons pas rendu un dixième de ce que nous leur devions.
Si M. Sarkozy refuse que la France soit « repentante », c'est parce que l'on assiste depuis quelques années à une surenchère à propos du devoir de mémoire, comme si tous les faits historiques étaient comparables à la Shoah. Ils ne le sont pas. Et ce n'est pas un hasard si ceux qui contestent la réalité de l'Holocauste sont aussi ceux qui prétendent qu'ils ont eu le leur.
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