Il aura fallu sept mois de conflit et treize heures d'une négociation marathon pour que les médecins obtiennent finalement gain de cause sur le tarif de la consultation, qui sera porté à 20 euros à partir du 1er juillet. Caisses d'assurance-maladie et syndicats médicaux sont en effet parvenus, mercredi au petit matin, à un accord sur la revalorisation des honoraires des généralistes en échange d'un engagement des praticiens à prescrire davantage de médicaments génériques et moins d'antibiotiques.
Avant même le début des négociations, une sortie de crise semblait se profiler. Le souhait du gouvernement de parvenir à régler le conflit avant le premier tour des élections législatives et les menaces de radicalisation du mouvement laissaient penser qu'une issue serait trouvée rapidement. Les négociateurs affichaient d'ailleurs sérénité et optimisme avant de s'enfermer pour de longues heures au 18e étage du Heron building, siège de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).
En début de séance, son président, Jean-Marie Spaeth, rappelait néanmoins que la revalorisation de la consultation à 20 euros ne pourrait se faire sans que les médecins n'apportent une contrepartie et qu'il était « ni nécessaire ni souhaitable pour personne d'en appeler au porte-monnaie des citoyens de ce pays ».
En définitive, aux termes du protocole d'accord qui a été signé par trois des principaux syndicats de médecins, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le Syndicat des médecins libéraux (SML) et MG-France (1), et que nous publions en page 4, les signataires sont convenus de porter à 20 euros le tarif de la consultation des médecins généralistes et de fixer, à terme, à 30 euros la visite à domicile - les deux principales revendications des médecins -, mais également de faire évoluer « les pratiques et les comportements afin de dégager les marges de manuvres financières nécessaires » au financement de ces mesures.
Concrètement, les médecins s'engageront à prescrire non plus en marques mais en dénomination commune, ce qui facilitera la diffusion des médicaments génériques. S'il n'est plus question d'engagements individuels des médecins auxquels les syndicats étaient hostiles, un objectif a été fixé collectivement à la profession. Dès la première année, la prescription en dénomination commune devra concerner 25 % des lignes de prescriptions dont la moitié (12,5 %) de médicaments génériques.
Arrêt des sanctions
Quant à la visite à domicile, son tarif (hors indemnités de déplacement) sera aligné sur celui de la consultation au 1er juillet (20 euros) avant d'être majorée à 30 euros (y compris les indemnités) à partir de l'automne lorsqu'elle sera médicalement justifiée. Un accord national de bon usage de la visite précisera les modalités de ces dispositions avant le 1er juillet. D'autres accords de bonnes pratiques devraient par ailleurs être conclus entre les signataires sur une meilleure utilisation des antibiotiques, la réduction de la prescription de médicaments à service médical rendu insuffisant et de psychotropes, la prise en charge des lombalgies ou encore des pratiques addictives.
Enfin, le protocole d'accord prévoit l'arrêt des procédures engagées contre les médecins qui pratiquaient illégalement le C à 20 euros.
Longtemps hostile à une revalorisation aussi large des honoraires des médecins, l'assurance-maladie, qui a agi sous la pression du gouvernement, a néanmoins qualifié « d'historique » cet accord « qui scelle un conflit de plusieurs mois et confirme le rôle incontournable de la CNAM dans le pilotage des relations conventionnelles avec les professions de santé ».
De leur côté, les syndicats médicaux et la Coordination nationale des médecins généralistes, évitant tout triomphalisme, ont jugé « positif » et « équilibré » l'accord intervenu avec l'assurance-maladie. « Nous sommes sur la voie de la levée du mouvement de grève des gardes », a déclaré le président de la CSMF, le Dr Michel Chassang, attendant pour cela que le gouvernement entérine définitivement les revalorisations. « Nous allons présenter ce texte dans nos assemblées générales et voir si les départements engagés dans le processus de déconventionnement décident de se reconventionner. Je pense que cela vaut le coup de le faire », a précisé, pour sa part, l'un des prote-parole de la coordination, le Dr Luc Duquesnel.
Le gouvernement soulagé
Mais les plus soulagés sont incontestablement les responsables gouvernementaux qui n'osaient imaginer un échec de ces négociations à trois jours du premier tour des élections législatives. Le président de la République lui-même s'est félicité en conseil des ministres « de l'heureux aboutissement » de ce conflit et du « dialogue social renoué » . Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, très présent dans les coulisses de la négociation, s'est réjoui, de son côté, « du succès du dialogue social et de la volonté politique ». Satisfait de la revalorisation du C et du V, il voit dans l'accord « une première étape vers l'instauration d'un contrat de confiance, indispensable à l'engagement des réformes pour que notre système de santé réponde davantage aux besoins de nos concitoyens ».
Rélance du système conventionnel
Car, au-delà de la victoire symbolique que représente la revalorisation de la consultation pour les médecins, l'accord consacre surtout le retour à la table des négociations des syndicats et notamment du principal d'entre eux, la CSMF. Il devrait en effet permettre, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, de relancer un dialogue conventionnel quasiment rompu avec les médecins depuis le plan Juppé - seul MG-France avait accepté de signer une convention - et de mettre un terme à la guérilla menée depuis sept ans contre la maîtrise comptable des dépenses.
« Après le traumatisme du plan Juppé, on ouvre une nouvelle époque. Depuis près de quinze ans, jamais les syndicats n'avaient ensemble porté un accord : c'est quelque chose de fondateur », a affirmé le Dr Pierre Costes à l'issue des négociations.
« L'accord ouvre la voie à une rénovation du système conventionnel et à une modification positive des relations entre les caisses d'assurance maladie et les médecins de famille », a estimé l'UNOF, la branche généraliste de la CSMF .
De son côté, le Syndicat des médecins libéraux affirme que le protocole du 5 juin « ouvre une ère nouvelle » et « tourne définitivement la page de la maîtrise comptable ».
Le Dr Chassang a d'ailleurs officiellement demandé à la CNAM l'ouverture d'une négociation « pour une refonte globale du système conventionnel pour l'ensemble de la profession médicale », qui devra s'accompagner, selon lui, d'une réforme de l'ensemble du statut social des médecins et aborder les problèmes de permanence des soins, de démographie, de sécurité, de statut fiscal et social et des conditions de travail.
Mais le retour de la confiance promise par le président de la République a un coût. En attendant les économies futures, qui pourront être engendrées par la prescription de médicament génériques, la revalorisation de la consultation et de la visite a été évaluée à plus de 900 millions d'euros par l'assurance-maladie qui viendront alourdir immédiatement le déficit déjà considérable de l'assurance-maladie en 2002. « C'est un accord virtuel car les contreparties demandées aux médecins sont sans aucune garanties. Alors qui va payer? , s'interroge le délégué national à la santé du Parti socialiste, le Dr Claude Pigement.
La préparation de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2003 sera bien en tout cas l'un des prochains casse-tête du gouvernement qui sera issu du second tour des élections législatives du 16 juin.
(1) La Fédération des médecins de France (FMF) et l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF) n'ont pas signé le texte.
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