Tout le monde aura remarqué que les salariés du public qui bénéficient d'un régime spécial de retraite se sont associés à la grève du 13 mai et n'ont pas été les moins combatifs.
Leur position repose sur la solidarité avec les autres travailleurs. On peut toujours se demander si un privilégié est sincère. Mais quand les agents de la RATP reconduisent la grève, la question sur leurs arrière-pensées devient obsédante. Ils n'ont pas été les premiers et ne seront pas les derniers à faire des grèves sous une forme qui va bien au-delà de l'arrêt de travail et dont les répercussions sortent de l'orbite de leur activité.
On a envie de leur dire que, pour défendre les retraites, il faut commencer par travailler et que, si leur intention est de paralyser la capitale, donc d'empêcher les salariés parisiens de se rendre à leur travail, ils auront réglé le problème des retraites en un tournemain, car plus personne n'y aura droit.
La reconduction de la grève à la RATP coïncide avec le fléchissement du gouvernement, qui a promis de réviser un certain nombre de points de son projet de loi, sans accepter d'en modifier l'esprit général, lequel, en définitive, n'a pas d'autre but que d'assurer la solvabilité des régimes de retraite par répartition.
En épargnant les régimes spéciaux, le gouvernement espérait que ses bénéficiaires se tiendraient tranquilles, ou tout au moins ne s'associeraient à la protestation que d'une façon formelle. Il doit regretter aujourd'hui de n'avoir pas étendu son projet aux cas particuliers : tant qu'à subir la colère des intéressés, qu'elle soit au moins justifiée.
En tout cas, les agents de la RATP semblent avoir décelé une brèche dans la volonté du gouvernement et espèrent détruire purement et simplement son projet. C'est ce que démontre une agitation qui devient plus politique que sociale : il s'agit vraisemblablement de reconquérir par des grèves longues les positions dominantes perdues aux urnes. Funeste conception de la démocratie.
Geindre, se plaindre, récriminer
L'opposition politique doit veiller, elle aussi, dans le concours enthousiaste qu'elle apporte à la mise en pièces d'une réforme dont elle admettait naguère qu'elle devenait urgente et indispensable, à ne pas sacrifier les intérêts bien compris du pays, déjà mis à mal par une crise économique longue et par le gonflement des déficits ; et à ne pas acquérir la sympathie de l'opinion sur un champ de ruines. François Fillon, l'autre jour à l'Assemblée, était fondé à reprocher à la gauche de n'avoir pas présenté d'alternative à son projet. Ségolène Royal a aussitôt annoncé un plan clair en quelques points qui a au moins le mérite d'ouvrir la voie au compromis. Mais ses idées arrivent bien tard, tant la gauche a été occupée, entre-temps, à récupérer la vague de protestation.
La crise ouverte par les retraites est d'une gravité exceptionnelle ; d'abord parce qu'elle révèle une attitude populaire déraisonnable ; ensuite parce qu'elle se produit dans une période particulièrement troublée par le ralentissement de la croissance ; enfin parce que, au moment où toutes les énergies du pays devraient se rassembler pour créer les conditions d'une reprise et combattre le chômage, c'est le temps libre qui, une fois encore, est porté aux nues, c'est le travail qui est dénoncé comme une calamité, c'est geindre, se plaindre, récriminer qui compte, pas le salut de la protection sociale. On aura entendu tous les cris d'indignation, tous les slogans de la grogne, tous les appels à des solutions mathématiquement impossibles dans un pays où on travaille 35 heures par semaine et aux portes duquel des millions d'étrangers réclament des visas pour partager cet enfer avec les Français.
C'est le moindre des humanismes de prendre en compte les métiers pénibles et le sort du smicard. Mais nous ne sommes pas une nation de martyrs. Il n'y a pas de paradis sur terre. Il faut encore, en 2003, se lever le matin et aller au boulot. Le mythe marxiste-léniniste d'un monde où l'automation devait libérer l'homme des chaînes du travail a péri depuis longtemps. Il suffit de demander aux chômeurs ce qu'ils en pensent. Les voilà libérés, mais pauvres. Et nous en comptons assez en France pour commencer à admettre que l'emploi s'est transformé en une sorte de privilège.
Et quand les communistes nous proposent leur solution : il y a de l'argent dans ce pays, il suffit de taxer les fortunes pour financer les retraites, ils feignent de ne pas savoir que toutes les fortunes n'y suffiraient pas et que, si les riches s'en vont, il y a aura encore moins d'emplois. Comment peut-on prononcer de tels propos en 2003 ? N'est-ce pas un discours de suborneur ? A la fin des fins, on découvre, à la faveur de cette crise, des comportements que nous n'hésiterions pas à qualifier de criminels s'ils n'étaient l'expression de la pure sottise.
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