Remue-méninges informatisé

Le boom des programmes d'entraînement cérébral

Publié le 07/10/2007
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TROIS MILLIONS d'exemplaires vendus en Europe pour le premier opus. Sept cent mille exemplaires qui s'arrachent pendant l'été pour le deuxième. Si votre mère réclame une Nintendo DS pour Noël, ne vous étonnez plus. Le Programme d'entraînement cérébral (le PEC) du Dr Kawashima a dopé les ventes de la console de jeu, lui offrant une nouvelle clientèle d'adultes et de seniors. Le succès du coaching par neurosciences interposées inspire de nouvelles initiatives de jeux cérébraux, catégorie « développement personnel ». Y compris du coaching pour enrichir son langage chez Ubisoft.

Les éditeurs de jeux font leurs comptes : en Europe, de 13 à 16 % de la population, selon les pays, a plus de 65 ans, au Japon, c'est déjà 20 %.

Le marché a trouvé sa voie : entretenir tout au long de la vie le bien-être de nos neurones. Car les jeux cérébraux s'appuient sur une caution scientifique. Celle de la plasticité cérébrale fonctionnelle : les fonctions perdues lors des lésions cérébrales peuvent être prises en charge par des neurones voisins grâce à une rééducation active ; de plus, lors du vieillissement normal, la perte des neurones est compensée par la mise en place de nouvelles jonctions. La fatalité de l'âge n'est plus de mise. «S'appuyant sur cette plasticité cérébrale, les neuropsychologues proposent d'entretenir ce qu'ils appellent la réserve cérébrale et cognitive», explique le Dr Sandrine Louchart de La Chapelle, chef de service adjointe au centre de la mémoire de l'hôpital de Monaco, qui a elle-même participé à la mise au point d'un programme.

Les cinq fonctions.

Tous les programmes d'entraînement cérébral s'efforcent peu ou prou de stimuler les cinq fonctions cognitives :

– la mémoire sous ses deux formes, récente et ancienne ;

– le raisonnement logique ;

– la concentration ou attention ;

– l'orientation (spatio-temporelle ou visuo-spatiale) ;

– le langage.

Ces tests existaient déjà sous forme papier et dans de nombreux livres comme la « Gym cerveau », de Monique Le Poncin (éditions Stock, 1987, et Livre de poche), ou « Améliorez sa mémoire pour les nuls » (First, 2007).

L'informatique apporte un incontestable progrès car les jeux sont plus ludiques, plus variés et interactifs, avec des bilans et un coaching.

Dans « Brain Tonic », on peut ainsi présenter des photos et demander d'où elles ont été prises.

Les capacité mémoire des machines actuelles permettent au jeu de puiser dans une base de données importante. Les exercices s'affichent à l'écran de façon aléatoire et se renouvellent souvent. « On n'a pas l'impression de faire deux fois la même chose», soulignent les concepteurs de « Brain Tonic », qui ont travaillé avec le Dr Louchart. Les exercices du site happyneuron.com reposent, l'un, sur près de 800 phrases, l'autre, sur un millier de photographies, etc.

Les jeux sont très variés : pour le langage, on va vous demander de repérer des intrus dans une liste de mots. On va vous faire faire du calcul mental de plus en plus rapide ou des jeux avec des cartes. Ou des sudoku. Le Dr Ryuta Kawashima propose d'affronter la DS lors du traditionnel jeu de main (pierre/feuille/ciseau), de se souvenir de la position de nombres sur un écran, de mémoriser des couples symboles/nombres ou de rendre la monnaie, etc. Le neurophysiologiste japonais, spécialisée dans la « Brain Imaging Research », explique avoir choisi les jeux en fonction de l'augmentation de l'activité cérébrale observée en IRM.

Avantage de l'informatique, les résultats prennent en compte l'exactitude des réponses et le temps de réalisation. La difficulté évolue en fonction des performances. Ce qui permet un suivi de sa progression.

Ce que l'on peut en attendre.

Pour vanter les mérites de la gymnastique cérébrale contre le vieillissement, les neuropsychologues citent l'étude ACTIVE, menée pendant plusieurs années, avec le soutien du NIH (National Institute of Health) américain, sur 2 802 adultes âgés de 65 ans et plus (» JAMA », novembre 2002 et décembre 2006). « Ce travail démontre la persistance chez les sujets âgés d'un potentiel cognitif d'apprentissage qui ne demande qu'à être exploité», soulignele Dr Bernard Croisille (laboratoire de neuropsychologie, hôpital neurologique, Bron), cofondateur de Happyneuron.fr. Lorsqu'un groupe est entraîné soit pour la mémoire, soit pour le raisonnement, soit pour la vitesse de traitement des informations, il se révèle plus performant pour la fonction spécifiquement entraînée. Le déclin cognitif lié au vieillissement recule de plusieurs années.

«Des jeux effectués trois fois par semaine permettent de gagner en vitesse de décision», note le Dr Louchart de La Chapelle.

Le Pr Joël Belmin (chef du service de gériatrie à l'hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine), refuse toutefois de dissocier l'entraînement cérébral de l'exercice physique et de la vie sociale. L'essentiel est d'avoir un « lifestyle » actif. «C'est très bien de faire travailler son cerveau et les jeux informatisés ont leur place à côté des sudoku, des mots croisés ou du bridge. La vidéo est particulièrement adaptée pour développer les capacités attentionnelles avec des objets qui apparaissent et disparaissent, par exemple. A condition de ne pas négliger l'exercice physique.»

Il rappelle en effet que l'exercice physique est un facteur de bon vieillissement cognitif : en imagerie fonctionnelle, on observe des modifications de l'activité cérébrale après des exercices physiques.

Enfin, il convient, surtout si les personnes présentent des troubles, de ne pas les laisser devant un écran en situation d'échec ou de difficulté. La présence d'un professionnel de santé s'impose.

Diminuer le risque d'Alzheimer.

Le Pr Joël Belmin est formel : «Il n'existe pas aujourd'hui de preuve que l'entraînement cérébral protège contre la maladie d'Alzheimer.»

Cependant, selon le Dr Bernard Croisille (« Revue de gériatrie », juin 2006), «plusieurs équipes ont démontré que le niveau d'éducation et l'entretien cognitif par des activités sociales et de loisir étaient associés significativement à un moindre risque de développer une maladie d'Alzheimer». Et que, logiquement, les loisirs intellectuels sont les plus efficaces. On peut donc espérer sinon prévenir, du moins diminuer le risque.

Toujours est-il que, en établissement, les nouvelles technologies font leur apparition. La société Scientific Brain Training, éditrice du site Happyneuron, a mis au point en collaboration avec plusieurs laboratoires de Lyon le progiciel ActiVital, en test dans quelques EHPAD (établissements d'hébergement pour des personnes âgées dépendantes), qui propose dix exercices simplifiés, une messagerie électronique simplifiée et un outil pour réaliser le journal de la résidence. Les premiers résultats sont encourageants. Des résidents initialement réticents s'y sont mis en voyant leur voisin l'utiliser. Mais il ne faut pas négliger le risque de stigmatiser un peu plus ceux qui n'arrivent pas à manipuler l'ordinateur. Quelques patients atteints d'Alzheimer, refusant de s'intégrer aux animations classiques, ont demandé à participer aux sessions d'entraînement. Des liens se sont créés entre les résidents.

Le Dr Louchart rapporte, quant à elle, le cas d'un patient de plus de 80 ans, atteint d'Alzheimer auquel les exercices (de « Brain Tonic ») permettent de conserver plus longtemps certaines fonctions cérébrales. La Fédération des centres de la mémoire est en train de monter un groupe d'étude. «La demande des familles pour ce type de produit informatique est forte.»

Raison de plus pour ne pas entretenir d'illusions. Ce n'est pas la panacée. «Il n'existe pas de “gonflette” cognitive miracle qui permettrait d'améliorer globalement la mémoire, prévient le Dr Croisille, la mémoire n'est pas un muscle que l'on surentraîne de manière mécanique.» Améliorer la mémoire des chiffres ne signifie pas que l'on retiendra mieux les numéros de téléphone...

N'empêche. Allons vite faire un test sur www.agedemoncerveau.com. Le plus grand nombre de réponses justes en 30 secondes. Addition, division, méli-mélo de lettres... Six bonnes réponses. Pas si mal, non ? Le verdict tombe : «Votre cerveau a vraiment besoin d'exercice.» Je me disais bien aussi. Tant de temps pour écrire cet article...

Les programmes

• « Programme d'entraînement cérébral » du Dr Kawashima, « Quel âge a votre cerveau ? » niveau 1 et avancé. 30 euros environ. Pour console Nintendo DS (150 euros environ).

• Happyneuron, site Internet www.happyneuron.fr et cédérom « Coach mémoire » pour PC Windows (de 95 à XP), 8,90 euros.

• « L'Entraîneur cérébral », version intégrale, pour PC Windows XP/Vista, Mindscape, 19,99 euros.

• « Brain Tonic », édité par Shindo, version DVD interactif (utilisable sur un téléviseur) 19,99 euros, version PC/Mac 29,99 euros.

• Programme d'entraînement cognitif « Gym-co » et « jeux de mémoire » développés avec le Dr Croisile, cédérom diffusé par Ipsen.

• Premier trimestre 2008 :

Tests d'entraînement de la mémoire « Mémo Peps », en partenariat avec le Pr Anne-Sophie Rigaud (hôpital Broca), cédérom et livret diffusé par Ipsen, puis sur le site Internet de l'hôpital Broca.

• Pour les professionnels :

– logiciel de rééducation cognitive Presco pour adultes et enfants (de 486 à 696 euros), Happyneuron/SBT ;

– logiciel Activa pour les établissements, 956,80 euros, Happyneuron/SBT.

A quel âge commencer ?

Présenté comme un jeu de compétition intellectuel, où l'on peut jouer à 16 joueurs pour mesurer son cerveau à celui des autres, le programme du Dr Kawashima s'adresse aux adultes, des jeunes de 25 ans aux seniors. Le but ultime est de faire baisser jusqu'à 20 l'âge de son cerveau, qui est évalué (dans une tranche de 20 à 80 ans) après une batterie de tests. De fait, au Japon, les deux tiers des acheteurs ont 25 ans et plus et n'avaient jamais touché un jeu de leur vie.

L'âge moyen des abonnés du site Happyneuron (analyse sur 628 abonnés), dont les exercices sont destinés à des seniors en bonne santé, est de 41,8 ans, avec trois pics autour de 22, 44 et 57 ans.

Le seuil significatif de progression est à 376 exercices...

Est-ce utile d'entraîner son cerveau dès le milieu de la vie ? Pour le Dr Louchart de La Chapelle, «si on a l'habitude d'avoir une gymnastique cérébrale, on acquiert de bonnes habitudes, sur lesquelles le neuropsychologue pourra s'appuyer par la suite».

Pour les seniors, les exercices cérébraux semblent efficaces et renversent le déclin cognitif, mais ils n'améliorent que les fonctions entraînées, sans généralisation au quotidien.

Pour les personnes avec un Alzheimer probable ou débutant, les jeux cérébraux font partie d'une stimulation globale au même titre que la conservation de la vie sociale.

> MARIE-FRANÇOISE DE PANGE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8231