Médecine générale, médecine de vocation. C’est clairement le premier constat qui ressort de vos réponses à notre grande enquête sur le bonheur lancée cet été auprès de nos lecteurs. Vous avez été près d’un millier à répondre à cette initiative qui faisait suite à des échanges nourris entre confrères sur le sujet via notre courrier des lecteurs : à l’époque, on se souvient que les uns affichaient leur agacement face à la sinistrose ambiante alors qu’en retour les autres moquaient cet angélisme...
Qui a raison, qui a tort ? Au final, notre enquête incline d’abord plutôt à l’optimisme. Ne serait-ce qu’au regard de la question n° 12 : neuf généralistes sur dix disent avoir fait volontairement le choix de la médecine générale, un sur dix seulement admettant avoir dû se contenter de cette discipline par défaut. Apparemment, bien leur en a pris. Pour preuve, 67 % des répondants à notre questionnaire déclarent « être heureux d’être médecin généraliste aujourd’hui ». C’est moins que lors de notre enquête « Généralistes, qui êtes-vous ?» réalisée au début du quinquennat (78 % de généralistes heureux en 2007), mais on retiendra quand même qu’en 2011 le sentiment de complétude reste majoritaire dans la profession.
« Un vrai service aux concitoyens?»
Et c’est bien la relation médecin-patient qui constitue la source première d’intérêt pour ce métier. Ainsi, vous êtes près de quatre sur dix à citer « le fait de rendre un vrai service à vos concitoyens » comme premier avantage de l’état de médecin. Un item cité avant la liberté d’être indépendant (28 %), la garantie d’avoir un emploi (28 %) et, surtout, loin devant, les critères financiers ou de prestige social (cités respectivement par 3 et 2 % des répondants).
Au hit-parade de ce qui comble le plus dans une vie de généraliste ? L’humanisme et la diversité de votre exercice. Ainsi, les propositions « Etre le médecin de toute une famille » (27%), « Aider les gens dans les moments difficiles de leur vie?» (26 %) et « Ne jamais voir les mêmes pathologies ou la même catégorie de patients » (26%) trustent les trois premières places du podium.
Le médecin généraliste, tout spécialiste de médecine générale qu’il est devenu, se retrouve d’abord dans son statut premier de médecin traitant au long cours. Pour preuve, la résolution « de certains cas médicaux compliqués » n’est citée en premier que par 12 % d’entre vous. Inversement, lorsqu’on propose aux médecins de supprimer une tâche de leur quotidien, la visite vient en dernier, citée par seulement 8 % des répondants?: un acte qui symbolise mieux que d’autres la proximité relationnelle entre le médecin et son patient.
Cependant, la satisfaction de l’exercice journalier de la médecine générale n’empêche pas une majorité d’entre vous d’avoir une vision assez sombre de leur situation. Symptomatique de ce pessimisme, vos réponses à la question n°?5. Pour près de quatre généralistes sur dix, être généraliste libéral en 2011 c’est
«?avoir tous les inconvénients du salariat sans bénéficier de ses avantages?», alors que seulement 16 % se retrouvent sur une proposition plus optimiste: «?bénéficier de l’indépendance d’une profesion libérale, mais sans en avoir le risque financier?».
La profession sait bien qu’elle n’a plus guère son image de notabilité dans la population (7 % des praticiens seulemnt le pensent encore), mais il y a plus préoccupant?: la quasi-totalité d’entre vous (90 % !) se sent incompris dans la société actuelle, souvent (56 %) ou parfois (34 %).
Et puis, l’exercice de ce métier pas comme les autres ne va pas sans son lot d’agacements. Au fil de vos réponses et de vos courriers, quatre motifs de grogne reviennent régulièrement?: charge de travail et paperasse, rémunération insuffisante, patients exigeants, Sécu qui harcèle. Sans surprise, vous êtes 40 % à déclarer que, si vous le pouviez, c’est bien la paperasse de la Sécu que vous supprimeriez illico, loin devant les tâches malgré tout inhérentes à votre statut de libéral, en l’occurrence la gestion de votre cabinet qui ne recueille « que » 20% des suffrages dans la catégorie servitude dont on se passerait bien.
La peur des tribunaux
Au chapitre des craintes professionnelles, celle d’être traduit devant les tribunaux se hisse au premier rang, citée en premier par 27 % d’entre vous. Suivie de très près par l’inquiétude d’être vous-même malade. Que ce soit au travers d’un arrêt de travail pour longue maladie (20 %) ou via un syndrome de burn-out (26 % des réponses). Notre enquête montre aussi que la crise des vocations chez les jeunes et le surmenage croissant des médecins de terrain inquiètent bon nombre d’entre vous. Mais ce n’est sans doute pas une découverte...
Les belles années du métier de médecin généraliste seraient-elles terminées ? Cela reste à vérifier. En tout cas six praticiens sur dix ne pensent pas que « le généraliste des années 2000 soit plus épanoui que celui des années 1970 ». Certes, si c’était à refaire, les généralistes seraient 68 % à dire « banco ». Mais attention ! La majorité de ces « recommençants » précisent qu’ils ne le feraient pas dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui... Enfin, ce qui va pour soi ne convient pas nécessairement aux proches : 57% d’entre vous ne « conseilleraient pas à leurs enfants » d’embrasser la même carrière.
Peut-être est-ce la conséquence logique d’une mauvaise conscience diffuse de la part des généralistes vis-à-vis de leur conjoint et enfants. Une nette majorité estime ainsi que leur métier nuit à leur vie professionnelle, sociale et familiale (42 % « un peu » et 32 % « énormément »). Un constat d’autant plus fâcheux que c’est bien la famille qui constitue la première source d’épanouissement pour les généralistes (64 %). Loin, très loin devant le travail, qui est cité quand même par deux praticiens sur dix, et les loisirs (11 %).
Rien d’un «?long fleuve tranquille?»
La carrière d’un généraliste s’apparente donc à tout sauf à un long fleuve tranquille. Et, de l’aveu même des répondants, lorsque les périodes d’abattement se produisent, elles sont violentes. Huit généralistes sur dix admettent ainsi avoir « connu des moments de désespoir » depuis qu’ils sont installés… D’ailleurs, d’une manière générale, 47 % de la profession (contre 29 %) estime que le bonheur n’est, a priori, « pas plus facile à atteindre pour un médecin généraliste que pour quelqu’un qui fait un métier différent ». g
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