LES COLLYRES RENFORCÉS ne sont disponibles que par l'intermédiaire des pharmacies hospitalières. Ils ne peuvent être prescrits que par des médecins hospitaliers, éventuellement à l'initiative de collègues libéraux. L'ordonnance doit être rédigée à l'hôpital.
Leur avantage théorique est d'apporter de très fortes concentrations de principe actif. Ainsi, un collyre commercial à la quinolone est dosé à 3 mg/ml alors que les collyres renforcés (CR) à base d'aminoside ou de vancomycine contiennent plusieurs dizaines de milligrammes par millilitre, ce qui permet d'obtenir des concentrations tissulaires cornéennes très importantes et une pénétration des antibiotiques jusque dans l'humeur aqueuse.
On constate, expérimentalement, après des instillations répétés du CR, plusieurs dizaines de microgrammes d'antibiotique par gramme de cornée, ce qui est un gage d'efficacité dans le traitement des infections bactériennes sévères.
Forte concentration tissulaire et large spectre.
Quatre familles d'antibiotiques sont principalement utilisées en CR. Les céphalosporines, notamment de première et de troisième génération, principalement actives sur les cocci Gram positif (GP), les cocci Gram négatif (GN) et les bacilles GP. Leur spectre relativement large peut être complété par l'ajout d'un autre CR, contenant notamment un aminoside, comme la tobramycine, l'amikacine ou la gentamycine. Cette association est beaucoup prescrite dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis où l'association renforcée céfazoline-tobramycine constitue le traitement de première intention des abcès de cornée bactériens graves. En France, les molécules utilisées sont un peu différentes. Nous utilisons le classique « TGV » qui désigne l'association des trois CR : ticarciline, gentamycine et vancomycine. La ticarcilline est un antibacille GN très actif sur Pseudomonas et ayant également un spectre d'activité intéressant sur le streptocoque. Les aminosides sont actifs sur les GN et la vancomycine est efficace contre les GP. L'utilisation combinée de ces trois antibiotiques renforcés permet donc d'obtenir un spectre très large, même si le spectre de chacun des antibiotiques pris individuellement est moins étendu que celui des préparations commerciales, quinolones notamment.
Conservation et toxicité locale.
Le fait qu'on ne puisse pas les obtenir en officine est un côté négatif, restreignant l'utilisation. Il faut obligatoirement un médecin hospitalier et une pharmacie hospitalière disponibles. Il existe, par ailleurs, un problème de coût puisque qu'un CR est vendu de 10 à 12 euros selon la molécule, c'est-à-dire deux ou trois fois plus cher qu'un flacon de quinolone ou d'aminoside du commerce. La conservation des CR est un autre problème car ces antibiotiques ne peuvent être conservés que pendant trois à quinze jours, souvent pas plus de sept jours et au réfrigérateur à +4 °C.
Une autre limite à leur utilisation est l'absence de preuve d'une efficacité accrue, comparée à celle des collyres d'officine, dans le cadre des abcès de petite taille ou de taille moyenne. Dans les années 1990, à l'époque de l'arrivée des quinolones, de grandes études américaines randomisées, comparant l'association renforcée céfazoline-tobramycine versus ciprofloxacine et ofloxacine, ont montré que pour les abcès de petite taille et de taille intermédiaire, ne mettant pas obligatoirement le pronostic visuel en jeu, l'efficacité des deux traitements apparaît identique avec, de surcroit, pour les yeux traités par une quinolone, une récupération visuelle plus rapide, probablement en raison d'une moindre toxicité.
Le principal inconvénient des CR est en effet leur toxicité locale. Leurs fortes concentrations, efficaces dans la lutte contre les germes, sont aussi très délétères en terme de cicatrisation cornéenne et notamment épithéliale.
Les indications.
On distingue les abcès bactériens graves de ceux qui ne menacent pas la vision. Trois critères sémiologiques permettent de faire la différence : les abcès qui ne s'accompagnent d'aucune réaction de chambre antérieure, qui mesurent moins de 2 mm de diamètre et qui sont situés à plus de 3 mm de l'axe optique (règle des 1-2-3) sont considérés comme ne menaçant pas immédiatement la vision et traités par des collyres commerciaux, monothérapie quinolone, voire association quinolone-tobramycine, dans le cadre d'une surveillance ambulatoire. A l'inverse, les abcès présentant les caractéristiques suivantes : plus d'une croix de Tyndall, plus de 2 mm de diamètre, situés à moins de 3 mm de l'axe optique, les abcès compliqués de sclérite, d'endophtalmie, menaçant de se perforer, s'aggravant malgré 24 heures de traitement empirique ou survenant chez des patients à risque (greffés de cornée, enfants, monophtalmes, immunodéprimés), sont quasi systématiquement hospitalisés. Dans toutes ces situations, nous effectuons un grattage cornéen avant de débuter le traitement antibiotique renforcé. L'association ticarcilline-gentamycine-vancomycine aux concentrations respectives de 7, 20 et 50 mg/ml est utilisée aux Quinze-Vingts, avec une « dose de charge » (une goutte toutes les cinq minutes en alternance la première heure), suivie d'une goutte toutes les heures, y compris la nuit, pendant les 48 premières heures. Le traitement antibiotique est ensuite adapté en fonction de la nature du germe identifié, de l'antibiogramme et de l'évolution clinique.
Les autres indications des CR concernent les abcès mycotiques. Ils sont exceptionnels en pratique courante, probablement quelques dizaines de cas par an en France, et s'observent notamment après traumatisme végétal ou chez les greffés de cornée. Le collyre le plus fréquemment utilisé est le collyre à l'amphotéricine B fabriqué par la pharmacie hospitalière des Quinze-Vingts. Les nouveaux antifongiques, voriconazole, caspofongine, peuvent également être préparés sous forme de collyre. Leur utilisation demeure toutefois exceptionnelle.
La troisième indication est constituée par les kératites amibiennes dont le traitement repose sur la prescription de collyre au polyhexaméthylène biguanide (Phmb) 0,02 %, à la fois actif sur les kystes et les trophozoïtes amibiens.
D'après un entretien avec le Dr Tristan Bourcier, praticien hospitalier universitaire, service du Pr Laroche, Chno des Quinze-Vingts, Paris.
- Coauteur de « Infections cornéennes. Diagnostic et traitement », T. Bourcier, C. Chaumeil, V. Borderie et L. Laroche, éditions Elsevier, 2004.
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