Entretien avec le Pr Rouveix, hôpital Cochin à Paris
Au premier rang européen pour la consommation d'antibiotiques par an en ville et au deuxième pour l'hôpital, la France se devait de mettre au point un plan gouvernemental afin de lutter contre le mésusage des antibiotiques, et ce d'autant que le taux de croissance moyen de la consommation des antibiotiques était de 2 à 3 % par an sur dix ans. Les prescriptions de ville montraient 30 millions de prescriptions inutiles pour les infections respiratoires virales. Quant aux angines qui représentaient 9 millions de prescriptions, seules 2 millions d'angines à streptocoque A justifiaient d'un traitement antibiotique. En ce qui concerne les prescriptions hospitalières, 40 % des patients hospitalisés recevaient des antibiotiques en traitement curatif ou en antibioprophylaxie. Parmi ces prescriptions, de 20 à 50 % ne correspondaient pas aux recommandations et, en antibioprophylaxie chirurgicale, la proportion des prescriptions inappropriées peut atteindre 90 %.
Une circulaire consensuelle
L'année 2002 a vu la parution de la circulaire DHOS/DGS 272-02, relative au bon usage des antibiotiques dans les établissements de santé et à la mise en place à titre expérimental de centres de conseil en antibiothérapie pour les médecins libéraux. Cette circulaire s'inscrit dans la droite ligne de plusieurs textes antérieurs émanant de sociétés savantes ou d'organismes publics : recommandations de l'ANDEM de 1996, de l'INVS de 1999 et la récente conférence de consensus de mars 2002. Elle s'inspire très largement de recommandations établies par la mission pour préserver l'efficacité des antibiotiques mise en place par le ministre de la Santé, Bernard Kouchner. Cette circulaire comporte deux points majeurs : elle donne à la commission existante dans de nombreux hôpitaux un statut réglementaire et elle recommande la nomination d'un médecin référent, qui doit être un clinicien reconnu pour ses compétences en antibiothérapie. Ces deux mesures sont d'application immédiate. En revanche, les modalités des échanges avec les médecins libéraux sont moins détaillées et attendent visiblement un texte supplémentaire.
Au dernier trimestre 2002, plus de 400 000 TDR (test de diagnostic rapide) ont été distribués par les caisses d'assurance maladie. Ces TDR ont été remis aux médecins libéraux après une séance de formation gratuite ; selon les derniers chiffres disponibles à la fin 2002, plus de 15 700 médecins généralistes (29 %) l'ont déjà suivie. Le taux de diffusion des streptotests a été très variable, selon les régions. La Bourgogne (71,6 %), la Bretagne (37 %), l'Alsace (36 %), la Picardie (35 %) et le Limousin (34 %) arrivent en tête. La généralisation de l'utilisation des TDR s'inscrit dans le cadre d'accords de bon usage des soins conclus entre les caisses d'assurance maladie, les généralistes et les pédiatres. La distribution des tests angine s'est accompagnée d'une communication grand public (« Les antibiotiques, c'est pas automatique »).
Les prescriptions d'antibiotiques devraient diminuer des deux tiers
Cette sélectivité accrue dans la prescription des antibiotiques présente un triple intérêt : écologique, en limitant la progression des résistances ; individuel, en diminuant le risque d'effets indésirables, notamment allergiques ; et, bien entendu, économique. Une simulation a montré que sous réserve que le TDR conserve une sensibilité d'au moins 90 % dans les conditions réelles d'utilisation, la généralisation de ces nouvelles recommandations n'entraînera pas d'augmentation de l'incidence du rhumatisme articulaire aigu, alors que les prescriptions d'antibiotiques devraient diminuer d'au moins deux tiers.
Ainsi, pour Bernard Rouveix (professeur de pharmacologie clinique, hôpital Cochin, Paris) « la prescription abusive d'antibiotiques représente l'une des grandes préoccupations actuelles, les efforts faits tout au cours de ces dernières années vont globalement dans le bon sens et les premiers résultats positifs devraient bientôt apparaître, notamment en terme d'économie de santé mais également en ce qui concerne la lutte contre les résistances ». Enfin, la dose d'antibiotique utilisé ainsi que la durée du traitement sont des données intéressantes à étudier. Pour le Pr Rouveix : « Taper fort et vite serait le bon sens, mais cette attitude doit être explorée antibiotique par antibiotique, car cela dépend des caractéristiques du spectre et de la cinétique. »
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