QUAND ON ENTRE dans le cabinet du Dr Yves Taieb, rien n'indique qu'il fait autre chose que de la médecine générale. Une table de consultation, un bureau, des dessins d'enfants épinglés au mur. Les plus curieux noteront cependant quelques indices, comme les trois ou quatre statuettes de musiciens de jazz noirs dans un coin de la bibliothèque chargée de dossiers.
Tapie dans la pièce attenante, la guitare attend son heure, celle où les patients désertent enfin les lieux. Elle sait, de manière effrontée, que le Dr Yves Taieb revient à elle dès qu'il en a le temps. Cela fait trente ans que la cohabitation dure.
L'image qu'utilise le Dr Taieb pour expliquer la naissance de sa passion, c'est le doigt de la « Création d'Adam » peint par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. «Quand mon père jouait du banjo, j'étais vraiment magnétisé. Mon père, qui était au départ violoniste classique amateur, s'est mis au banjo. Dans les années 1930, il s'amusait à jouer du fox-trot alors que, à l'époque, on n'écoutait principalement que de la musique orientale en Tunisie. C'est à 11 ans que je lui ai demandé de m'apprendre à jouer du banjo.» Lorsqu'il arrive en France à 16 ans, Yves Taieb troque son banjo pour la guitare et se met à en apprendre les accords, «en parfait autodidacte». Avec le serment fait à son père de réussir ses études, à l'exemple de son grand frère et de son oncle, tous deux médecins généralistes.
«La médecine générale, c'est une philosophie. C'est considérer l'homme dans son ensemble, avec son environnement», définitivement musical pour Yves Taieb, qui anime les salles de garde et bals du CHU Saint-Antoine où il poursuit ses études. «J'ai eu l'honneur d'être chargé d'enseignement et d'être l'un des pionniers de l'enseignement de la médecine générale», précise-t-il.
Dans son cabinet du 20e arrondissement de Paris, où il s'est installé en 1978, Yves Taieb passe son temps libre à se perfectionner au son de Joe Pass, Wes Montgomery, Barney Keyssel, Tal Farlow... «Mes racines se trouvent dans le blues et le be-bop. Mais le tournant de ma vie, c'est le moment où j'ai plongé dans le jazz en prenant des cours avec Pierre Cullaz», guitariste professionnel avec qui il se lie d'amitié. Et, de fil en aiguille, «avec beaucoup de persévérance», le médecin se produit sur scène en compagnie de grandes pointures comme le contrebassiste Jacky Samson ou le guitariste Jean-Philippe Bordier. Il lui est même arrivé, avec le « Yves Taieb Quartet », de faire un boeuf imprévu «avec le plus grand des saxophonistes baryton», Xavier Richardeau. Un souvenir inoubliable qu'il partage avec ses deux fils (mélomanes, mais pas musiciens) présents ce soir-là. «C'est un rêve de jouer avec des professionnels. Ça me permet de me dépasser vers un autre niveau, même si au départ, c'était très stressant.» Yves Taieb joue dans deux grands clubs parisiens, le Latitude Saint-Germain, de 1994 à 1998, et le Franc-Pinot, de 1998 à 2007, avant qu'ils ne ferment. Aujourd'hui, il se produit au théâtre de l'Orme (19e)* en duo avec Jean-Philippe Bordier. Pour Yves Taieb, le jazz est avant tout un partage. Un partage avec les amis musiciens, avec le public, mais aussi avec ses confrères. C'est dans cet esprit qu'il a écrit le « Blues du généraliste », où il raconte avec humour comment ces médecins de première ligne remettent «en piste» les patients, «pour pas cher» et parfois à pas d'heure. Plusieurs de ses patients sont également venus l'écouter mais, dans son cabinet, le Dr Taieb préfère rester discret. «Certains patients sont sensibles à ma passion, mais je n'insiste pas trop. Je préfère qu'ils m'apprécient en tant que bon médecin. Je prolonge les idées de mes parents, qui estimaient que la musique, ça n'était pas sérieux.»
Toutefois, lorsque le jour de la retraite tombera, la guitare entend bien se venger de la médecine : Yves Taieb lui a promis de s'y consacrer totalement, «car je suis un guitariste très moyen qui a encore énormément à apprendre».
* Prochain concert, le samedi 28 juin, à 17 heures.
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