LA RENCONTRE se déroule dans une salle au fond du Scaramouche, café « citoyen » situé dans le centre de Rennes, derrière le Théâtre national de Bretagne. Mais elle n'a rien de confidentiel. Au contraire, l'entrée est libre. On peut rester les trois heures que dure la séance ou assister seulement à la discussion qui s'engage autour du thème abordé chaque semaine. Ce jeudi-là, on parle des animations en maisons de retraite, après les sujets plus difficiles évoqués les semaines précédentes (l'agressivité, la parole dans les familles...).
Les participants - une dizaine pour cette huitième séance - se saluent. Autour d'un thé, les langues commencent à se délier. Une femme d'une quarantaine d'années amorce la discussion avec sa voisine. Elle vient pour la première fois. Raconte qu'elle et ses trois sœurs ne savent plus que faire pour leur mère malade de l'Alzheimer et qui vit seule. « On se demande ce qu'elle mange »,« Le neurologue n'a pas dit à notre mère ce qu'elle a »...
Au fil des minutes, on sent poindre une émotion jusque-là contenue. Isabelle Donnio, psychologue, qui a contribué à la création du Bistrot Mémoire, et dirige un service de soins à domicile, donne des repères ; elle explique que « la sensation de faim disparaît », qu' « il n'est pas aisé de trouver la manière de dire à un parent ce qu'il a ».
S'adapter à l'autre.
Le cercle de discussion s'élargit. Un participant, qui a perdu sa femme atteinte d'Alzheimer et bénévole du Conseil des familles, une des associations qui ont organisé l'opération, raconte le moment où le médecin a diagnostiqué la maladie. « Il m'a dit qu'il n'y avait rien à faire. Ensuite, j'ai compris que, si une chose est indispensable, c'est d'apprendre à s'adapter à l'autre. » Isabelle Donnio rebondit : « On ne peut pas attendre que la personne malade se rapproche de nous, de notre réalité. C'est à nous de nous rapprocher d'elle. C'est possible, en allant chercher des ressources que l'on ne soupçonnait pas avoir. Etre plus sensible, plus intuitif. C'est possible d'être dans la communication si les proches en construisent une nouvelle. » « Il faut faire le deuil de la relation passée », note une autre participante.
Les échanges se prolongent encore. Librement, chacun fait part de son histoire, de ses difficultés, souvent de son isolement mais aussi de celui de la personne malade.
Le Bistrot Mémoire a justement été créé pour « retisser du lien dans la famille et dans la société », précise Isabelle Donnio. D'où le café, lieu de vie sociale par excellence, lieu dans la cité, ancré dans les mœurs et le quotidien, « un endroit qui permet de sortir de son environnement car, vous savez, vivre 24 heures sur 24 avec une personne qui n'est plus dans le dialogue, ce n'est pas rigolo », ajoute un participant. « Ici, nous ne sommes pas dans le même travail psychologique que nous effectuons au cours des groupes de parole mensuels avec les proches, explique Isabelle Donnio. Au Bistrot, les personnes malades peuvent venir avec un parent, un ami. Le Bistrot est un lieu qui inclut. L'Alzheimer fait peur. Lorsque vous allez au restaurant avec un parent malade, vous prenez le risque qu'il lèche son assiette et d'être confronté alors au regard des autres clients. Stigmatiser cette population en plaçant les personnes malades dans des établissements spécialisés ne va pas aider la société, les soignants, les personnes âgées elles-mêmes à changer leur regard, alors que le nombre de malades augmente irrémédiablement. »
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