En 1990, les médecins américains ont décidé de consacrer des vastes moyens à un ensemble de projets de recherche étalés sur dix années. Ils les ont qualifiées de « Decade of The Brain ». « Nous sommes seulement à l'orée d'un développement extraordinaire des neurosciences dans des directions diverses qui, si elles peuvent paraître éloignées, ne s'enrichissent pas moins les unes des autres », annonce le Pr Jacques Touchon.
Le premier champ de recherche qui s'est développé est celui des études épidémiologiques de grande envergure. Longtemps, les chercheurs français n'ont pas eu à leur disposition de cohortes importantes. Pourtant, seul le suivi d'une vaste population à long terme permet d'avoir à disposition une base de données riche qui contribue à l'élaboration de projets de recherche.
Récemment, des équipes françaises d'épidémiologistes en neurosciences se sont regroupées pour mettre en place un vaste travail, l'étude 3C (3 cités : Montpellier, Bordeaux, Paris), dont le but est de suivre une cohorte de 10 000 sujets âgés de plus de 65 ans afin de tenter d'évaluer les facteurs favorisant l'évolution vers le handicap et le vieillissement pathologique. Chacun des sujets inclus bénéficiera d'un examen neurologique, psychiatrique, d'un bilan sanguin (avec création d'une banque de données et évaluation du stress oxydatif), d'une IRM encéphalique chez un sujet sur trois, et d'un examen Doppler des vaisseaux du cou, afin d'évaluer les facteurs de risque vasculaire.
Une cohorte de 10 000 sujets
« Cette étude a été mise en place en 1999 et, déjà, nous sommes sur le point de publier les premières données ayant trait à la prévalence des différentes affections neurologiques, ce qui nous permettra d'extrapoler à la population française à partir d'indications fiables », explique le
Pr Touchon. Les sujets inclus seront revus en consultation tous les deux ans et bénéficieront, si nécessaire, d'examens complémentaires. Cette seconde phase de l'étude permettra donc une estimation précise de l'incidence annuelle des pathologies neurologiques et psychiatriques chez des sujets âgés de plus de 65 ans. « Les données de cet essai seront aussi à l'origine de nombreux travaux de recherche qui, d'une façon plus globale, s'intègrent dans tous les axes de développement de la neurologie de demain », analyse le Pr Touchon.
La deuxième ligne directrice dans laquelle des progrès majeurs ont été obtenus - et devraient se poursuivre - est celle de la génétique. Les travaux en cours devraient bientôt permettre de mieux comprendre les facteurs impliqués dans la genèse des différentes pathologies neurologiques, de démembrer des cadres nosologiques créés de façon superficielle et, surtout, d'ouvrir la voie à des possibilités thérapeutiques nouvelles. Le travail à accomplir est considérable, puisqu'on sait qu'en matière de neurologie l'hérédité est généralement multifactorielle, influencée par l'environnement. Les progrès déjà réalisés sont porteurs d'espoir en vue d'une meilleure compréhension physiopathologique des phénotypes et devrait permettre une extrapolation en matière thérapeutique.
L'imagerie représente le troisième axe où des avancées ont été obtenues au cours de ces dernières années. La composante morphologique de l'imagerie s'est trouvée améliorée par les nouvelles techniques d'IRM. Celles-ci permettent en effet des études volumétriques capitales pour la compréhension des affections neuro-dégénératives.
Nouvelles techniques d'imagerie fonctionnelle
Des techniques d'imagerie fonctionnelle ont été développées : IRM fonctionnelle (IRMf) et PET-scan. Si la France était très en retard par rapport aux autres pays européens, un PET-scan devrait bientôt être disponible dans de nombreuses villes. Cette technique d'imagerie, surtout utilisée à des fins de recherche, devrait permettre de mieux comprendre la physiopathologie de nombreuses affections neurologiques, allant des syndromes neuro-dégénératifs à l'épilepsie. Le PET-scan représente aussi un élément indispensable à l'évaluation des thérapeutiques - médicamenteuses, thérapie génique, greffes cellulaires, techniques de stimulation... En outre, de gros efforts sont entrepris dans le domaine de l'analyse des neuromédiateurs, des transporteurs et des récepteurs. Ces travaux pourraient définir les réseaux neurologiques à l'origine des circuits de suppléance et des processus de compensation.
Enfin, l'amélioration de la sensibilité des SPECT va susciter le développement, à un moindre coût, d'études fonctionnelles et topographiques chez des groupes de patients sélectionnés en fonction de leurs pathologies.
La thérapeutique représente le dernier axe développé au cours des années 1990. « En matière de neurologie, on est passé d'une science contemplative à une discipline active : par exemple, l'épilepsie, où longtemps le traitement était limité à trois médicaments, bénéficie maintenant de plus d'une dizaine de molécules à la fois plus efficaces, mieux ciblées et mieux tolérées », rappelle le Pr Touchon. Par ailleurs, les efforts en pharmacologie ont porté leurs fruits dans des champs de la neurologie où les médecins étaient jusqu'à présent impuissants, par exemple la sclérose en plaques, avec la mise sur le marché des interférons. En ce qui concerne la maladie d'Alzheimer, les neurologues disposent actuellement de médicaments symptomatiques agissant sur la cible cholinergique ; de plus, des stratégies de prévention et de blocage des processus en cause - par action sur les enzymes impliqués dans le métabolisme de la protéine bêta-amyloïde - se mettent actuellement en place. Dans cette pathologie, les travaux de physiopathologie et de biochimie s'enrichissent des progrès de la génétique. En effet, ce sont les études sur les formes familiales qui ont mis sur la voie de la protéine bêta-amyloïde et suggéré le rôle des gamma et bêta-sécrétases dans l'amyloïdo-genèse. Enfin, le projet de vaccination par immunisation contre la protéine bêta-amyloïde laisse envisager, après quelques expériences tout à fait spectaculaires chez l'animal, une application chez l'homme. Bientôt, des essais de phases II et III seront mis en place dans trois centres en France.
Ces dernières années, on a aussi assisté à des progrès en matière de chirurgie dans l'épilepsie et la maladie de Parkinson. Si l'association L-dopa-agonistes dopaminergiques reste d'actualité et si les inhibiteurs de la catéchol-o-méthyl-transférase ont trouvé leur place, la chirurgie de stimulation a vu ses indications s'élargir. Cette technique, développée en France par les Prs Ben Habbid et Pollak (Grenoble), est fondée sur un principe simple : les structures corticales, devenues hyperactives du fait de la diminution du frein dopaninergique, peuvent être stimulées par un courant à haute fréquence, ce qui correspond en pratique à une sidération de ces cellules. Les premières cibles utilisées ont été les noyaux thalamiques, puis elles ont été progressivement abandonnées au profit du GPI (globus pallidus interne) et du noyau sous-thalamique.
Le développement de la chirurgie de stimulation
« Demain, les indications de la chirurgie de stimulation s'élargiront dans la mesure où les connaissances de la physiopathologie des syndromes dégénératifs impliquant les noyaux gris centraux s'étendront », ajoute le Pr Touchon. Il est aussi probable que cette chirurgie trouve des applications en psychiatrie.
Enfin, les thérapies cellulaires représentent un immense espoir en neurologie ; la création d'instituts de biothérapie fera bénéficier des travaux entrepris dans les autres secteurs de la recherche fondamentale aux différentes spécialités médicales.
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