Historien, archiviste, Michel Pastoureau occupe à la Sorbonne une chaire d'Histoire de la symbolique occidentale. Dans ses « Animaux célèbres », il s'empare de figures aussi fameuses que le buf et l'âne, le cheval de Troie ou l'énigmatique bête du Gévaudan. Mais ce sont surtout les valeurs dont on affecte les animaux qui l'intéressent : l'abeille est toujours positive, le rat et l'âne reçoivent les contraires, divination et répugnance, dans beaucoup de civilisations.
Plus profondément, il sculpte la manière dont l'animal révèle l'homme : le cerf qui apparaît à saint Eustache et à saint Hubert porte entre ses bois un crucifix étincelant : il rend honteux les chasseurs cruels et avides. La « bête » qui terrorise le Gévaudan aux alentours de 1765 finit par alimenter des fantasmes humanoïdes et fortement sexualisés, fidèles au freudisme : la peur de l'animal est souvent la projection d'une force pulsionnelle qui vient de nous.
Plus étrangement cocasse est l'histoire de la truie de Falaise (1386). Jugée pour avoir mangé une partie du visage d'un nourrisson, elle fut exhibée et torturée devant la population, affublée de vêtements humains. De nombreux porcs avaient été conduits là, pour que « ça leur serve de leçon ».
Du côté des philosophes
Si les animaux hantent la conscience collective, ils servent aussi la plume des philosophes, comme le montre le très amusant livre de Christian Roche et Jean-Jacques Barrère, « le Bestiaire des philosophes ». Ceux-ci les ont pris dans les filets de la comparaison : Bergson a utilisé le sphex, petit insecte qui pique avec précision les centres névralgiques de ses proies, comme image de l'instinct, activité précise mais aveugle. Nietzsche voit dans la tarentule le symbole du ressentiment noirâtre qui tisse sa toile. Quant à la taupe, elle est tantôt l'image du Destin, du sens de l'Histoire chez Hegel, car il finit toujours par affleurer à la surface, ou des infrastructures enfouies chez Marx. Une pensée philosophique parfois un peu en retard sur la réalité et qui, comme la chouette de Minerve, ne prend son vol qu'à la tombée de la nuit.
De son côté, Pierre-Yves Bourdil aborde en vrai philosophe l'existence animale. Dans « l'Etrange existence de l'animal », Il montre à quel point elle est toute pétrie de projection et d'affectivité humaine. Les animaux subissent de notre part une mise en scène : « Quand nous racontons des histoires dont les héros sont des animaux, nous investissons leur corps et nous lui conférons le sens fictif d'une manière d'être. »
Ne nous sommes-nous pas par là-même privés de la possibilité de comprendre l'animalité ? Une animalité qui consiste plus à subir une évolution, alors que l'homme contesterait la sienne, grâce à l'univers socio-artificiel qu'il s'est créé, et la possibilité de projeter des fins.
Est-ce à dire que l'homme atteint par là au sublime et se déconnecte à tout jamais du sac de pulsions ? De dangereuses réversibilités ne sont-elles pas toujours possibles ?
« Les Animaux célèbres », de Michel Pastoureau, éditions Bonneton, 250 pages, 15 euros.
« Le Bestiaire des philosophes », de Christian Roche et Jean-Jacques Barrère, éditions du Seuil, 140 p., 18,50 euros.
« L'Etrange Existence de l'animal », de Pierre-Yves Bourdil, éditions du Relié (BP 30, 84220 Gordes), coll. Ose savoir, 137 p., 9,91 euros.
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