« Les traitements chroniques posent un réel problème, parce qu’ils rassemblent l’essentiel des coûts, et parce que la France n’a pas du tout une culture de réévaluation des prescriptions, regrette Samuel Limat. La tendance à accroître le mille-feuille thérapeutique sans jamais réévaluer les bénéfices et les risques de l’ensemble de l’ordonnance augmente l’iatrogénie et les coûts. »
Tous malades ?
On s’en souvient : en 2008, des débats passionnés ont animé le domaine de la prise en charge du risque cardio-vasculaire. En pleine tendance « lower is better », l’étude Accord montrait que l’intensification du traitement antidiabétique entraînait une surmortalité significative. L’exemple est emblématique. Il illustre clairement les notions de seuil thérapeutique et de bénéfice-risque, bien plus délicats à établir que dans le simple traitement d’une symptomatologie aiguë.
« Dans le domaine de l’hypertension artérielle, l’abaissement des normes n’est pas forcément anormal, assure Nicolas Postel Vinay, cardiologue (Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris). Les registres décrivant l’incidence d’événements cardio-vasculaires selon la pression artérielle ont un siècle : ils montrent clairement la relation linéaire qui existe entre les deux. » Mais un seuil diagnostique bas n’est pas dénué d’impact : « Lorsque le seuil diagnostique du diabète a été abaissé de 1,40 à 1,20 g/l, la population de diabétiques a augmenté de 20 %. Quelle est l’incidence sur la société d’un abaissement de ces seuils, transformant d’un coup une frange notable de la population en bonne santé en une population malade ? » interroge-t-il. Au-delà de la volonté vertueuse de vouloir prévenir précocement des complications sévères, la question de la prise en charge du risque introduit ensuite le niveau de seuil : à partir de quel stade le traitement devient-il opportun ?
Pré-HTA, pré-ostéoporose, prédiabète… la tendance « logique » à l’abaissement des seuils diagnostiques relève des seuils thérapeutiques. Elle est inquiétante à double titre : elle impose l’idée que ce n’est plus la maladie qu’il faut traiter mais le risque. « Elle impose aussi l’idée que le traitement prévaut sur les règles hygiénodiététiques. Cette facilité à médicaliser les populations n’est sans doute pas la meilleure réponse à notre impuissance à influencer durablement les comportements à risque », regrette le cardiologue.
Cette tendance, dans laquelle le rôle des firmes pharmaceutiques est déterminant, favorise le surtraitement : parce que le bénéfice attendu par le traitement devient plus modeste et plus aléatoire, tandis que les effets indésirables du traitement conservent leur probabilité de survenue.
Bénéfice à géométrie variable
Exemple avec l’ostéoporose. Les débats concernant la pertinence de sa prise en charge ne se sont jamais taris depuis l’avènement du traitement favorisé par l’utilisation de l’ostéodensitométrie. Ils ont été ravivés ces derniers mois par plusieurs publications dans des revues internationales depuis que le suivi en vie réelle des biphosphonates a fait émerger de nouveaux risques (ostéonécrose de la mâchoire, fractures atypiques du fémur sous traitement continu…) qui, bien que rares, surviendront, étant donné la fréquence de ces traitements dans la population féminine. Le recours au traitement est-il pertinent ? Pour ses détracteurs, l’ostéoporose n’est qu’un des facteurs de risque de fracture osseuse, le principal étant constitué par la chute. Le recours aux médicaments, discutables, est d’autant plus critiqué que son bénéfice-risque n’est pas systématique lorsque le risque de fracture est modéré.
Pour Yves Maugars, rhumatologue (CHU de Nantes), les polémiques sont issues de limites méthodologiques : « Le traitement permet de prévenir 50 à 70 % des fractures à moyen terme, soit de trois à cinq ans. Mais on n’en connaît pas le bénéfice à plus long terme. Il manque des études prospectives à long terme, très difficiles à réaliser. Sur ce constat, on traite à 60 ans en considérant probable que cela apporte un bénéfice à 80 ans sans en avoir la preuve formelle en termes d’Evidence Based Medicine. » Selon lui, les tendances encourageantes des chiffres des fractures ostéoporotiques dans la population, qui sont en légère baisse dans une population vieillissante, laissent penser que le choix adopté par la communauté médicale est le bon. Mais maintenir un traitement sans en connaître la durée optimale en termes de maintien de bénéfice clinique pose une question presque philosophique
Approche globale
À l’image du programme mis en place par la HAS pour la population des sujets âgés, l’idée serait d’améliorer les prescriptions à travers une approche globale et non pas segmentée par pathologie. L’équation est complexe. Car elle prend place dans une société où le recours aux investigations et aux traitements s’accroît. La tendance sociétale à porter le soin comme vecteur majeur de la santé, la médiatisation des innovations thérapeutiques et l’apparition de nouveaux concepts pathologiques, guidée par les industries pharmaceutiques, créent cette tendance, et une pression supplémentaire sur le corps médical.
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