LA RÉFLEXION menée au moins depuis 2004 par la Direction générale de la santé (DGS) pourrait arriver à son terme. L’audition publique organisée par la Société française de santé publique a réuni à la Cnamts (Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés) l’ensemble des acteurs, professionnels et représentants de la société civile, autour des enjeux de la vaccination par le BCG. Pendant deux jours, les participants ont été invités à s’interroger sur la question de la levée de l’obligation vaccinale, compte tenu des différentes expertises et travaux réalisés à la demande de la DGS. En 2004, l’Inserm avait analysé les conséquences épidémiologiques d’un maintien de la vaccination généralisée versus la vaccination ciblée. Son expertise représentait alors la première étape du processus qui devait conduire à une prise de décision finale. Le rapport soulignait la nécessité d’évaluer l’efficacité de l’ensemble du dispositif de lutte contre la tuberculose en France avant d’envisager une modification de la stratégie actuelle. L’avis de septembre 2005 du comité technique des vaccinations (CTV) et du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (Cshpf) allait plus loin, en recommandant la suspension à terme, une fois les moyens de lutte contre la maladie renforcés, de l’obligation vaccinale au profit d’une vaccination chez les enfants à risque élevé en fonction de critères bien établis (pays de naissance, origine des parents, antécédents familiaux, situation jugée à risque d’exposition par le médecin).
Voie intradermique.
L’Académie nationale de médecine s’est aussi prononcée en ce sens en octobre 2005, avant que le débat ne soit de nouveau relancé avec l’annonce de l’arrêt de la commercialisation du vaccin par multiculture au début de 2006. En décembre 2005, l’Académie demande une clarification rapide de la politique vaccinale. Nombre de médecins, confrontés aux difficultés de la vaccination par voie intradermique chez le nouveau-né, seule voie possible avec le BCG SSI (Statens Serum Institute de Copenhague), refusent de la pratiquer chez tous les enfants.
En juin 2006 intervient alors un avis du Comité consultatif national d’éthique (Ccne) qui remet en cause la notion même de vaccination ciblée en raison des risques de discrimination. Si la vaccination devait n’être réservée qu’à certaines personnes, le comité recommande qu’elle ne soit effectuée «que pour des raisons strictement médicales, appréciées par le seul médecin (scolaire, de PMI, pédiatre ou généraliste) ». L’avis de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) du 28 septembre dernier est plus favorable : il affirme que les mesures proposées par le Cshpf ne présentent pas, «en elles-mêmes, un caractère discriminatoire». Cependant, il recommande «la plus grande vigilance afin d’éviter, notamment, que le dispositif qui sera mis en place ne soit utilisé à des fins de contrôle de la régularité de séjour des publics visés».
L’avis des médecins.
Tous sont venus débattre et ont précisé leurs positions au cours de l’audition. La dernière partie, en conclusion des deux journées, était réservée au point de vue des acteurs eux-mêmes, les médecins. La plupart ont rappelé que, dans les faits, la vaccination généralisée n’existe plus, puisque la plupart des médecins refusent de la pratiquer. «Il n’y a plus de vaccination généralisée en France», a expliqué le Dr Jean Sarlangue (pédiatre hospitalier à Bordeaux). Il rejoint son collègue le Dr Claude Berrard (Urml, Poitiers), généraliste, pour dire que la vaccination par voie intradermique reste un geste technique difficile avec des possibilités d’apprentissage limitées : «Il est illusoire de croire qu’on va former les médecins généralistes car cela nécessite surtout de la pratique.» Le Dr Robert Cohen, pédiatre et infectiologue, témoigne : «Je réalise environ 10BCG par semaine et je ne peux pas dire que j’arrive à être satisfait de mes 10BCG, alors qu’une intramusculaire ne pose aucun problème.» En plus de la difficulté du geste technique, il dénonce le manque de cohérence d’une telle vaccination avec la loi sur les droits des malades ( «Aucun acte médical ne peut être réalisé sans le consentement des patients») ou avec le code de déontologie qui affirme que l’individu passe avant la collectivité. Il rappelle que le BCG est un vaccin «égoïste» et non pas «altruiste», qui n’influe pas sur l’épidémiologie de la maladie avec, dans certains cas, un rapport bénéfice/ risque défavorable. Le Dr Bruno Percebois, pédiatre de PMI en Seine-Saint-Denis, est plus mesuré. Il est favorable à la suppression de l’obligation vaccinale mais se prononce en faveur d’une logique plutôt territoriale. Comme ses collègues, il rappelle qu’il n’y a pas de population protégée, mais des populations à risque modéré ou élevé et qu’il suffit qu’un enfant soit en contact avec un adulte bacillifère. «Or les enfants ne vivent pas que dans leur famille», insiste-t-il. Son avis est proche de celui du Dr Véronique Guillot, pneumologue à Cayenne, en Guyane, région de forte prévalence de la tuberculose (50,7/100 000) et soumise à des flux migratoires importants : «Compte tenu de cette situation particulière, le BCG doit rester obligatoire pour tous», affirme-t-elle en concluant qu’en la matière «vigilance, réflexion et humilité» s’imposent.
Maintien intolérable.
Des conseils que compte faire siens le Pr Jean-Louis San Marco, médecin de santé publique à Marseille, président de la commission d’audition qui va rendre ses conclusions et propositions dans un mois. Conscient que «la levée de l’obligation vaccinale est inéluctable et son maintien intolérable», il affirme que le jury devra prendre en compte les situations géographiques particulières, de même que les populations les plus exposées. Proposer «une solution unique serait aberrant», poursuit-il. Peut-être le jury se tournera-t-il vers des «propositions expérimentales qui devront être évaluées selon un calendrier précis». Une expérimentation médicale et sociale qui se devra de toute façon d’être prudente : «Nous allons prendre le risque que de nouveaux cas apparaissent, mais ils devront être le moins nombreux possible», conclut le Pr San Marco. Le plan national de lutte antituberculeuse doit, lui, être finalisé et présenté avant la fin de l’année
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature