LA CGT AVAIT pourtant bien fait son travail en s'opposant à la nationalisation rampante de la Sncm : il demeure qu'elle a trouvé plus « social » qu'elle, le SCT (Syndicat des travailleurs corses), qui s'est emparé d'un navire, le « Pascal-Paoli », et a appareillé vers l'île de Beauté pour « le rendre aux Corses ». Cadeau empoisonné. Car la Sncm, déjà recapitalisée en 2003 à raison de 69 millions d'euros, a besoin de sommes considérables pour survivre.
Le gouvernement avait le choix entre deux propositions et a retenu celle de Butler Capital Partners, qui propose d'investir 35 millions d'euros, que l'Etat procède à une recapitalisation de 113 millions d'euros, mais qui veut licencier 400 personnes sur les 2 400, dont 1 644 navigants, de la compagnie. L'investisseur le « moins disant » réclamait une recapitalisation de 155 millions, limitait sa contribution à 20 millions et tablait, lui aussi, sur 400 suppressions de postes.
Le choix était donc médiocre dans tous les cas, ce qui donne tout de même une indication sur la situation de la compagnie, qui a perdu près de 30 millions d'euros en 2004.
Une compagnie célèbre.
Ce n'est pas la première fois que la Sncm fait parler d'elle : son sort, ses syndicats hauts en couleur, ses grèves mémorables qui laissaient (et laissent encore) des milliers de voyageurs sur les docks font partie de la saga des conflits sociaux français. Cette fois, la crise s'est répandue comme un incendie de forêt alimenté par le mistral : le préfet, intransigeant, a appliqué sans broncher les consignes du gouvernement en dépêchant sur place les CRS (avec un bonheur mitigé puisqu'ils n'ont pas empêché l'arraisonnement du « Pascal-Paoli ») ; face à l'Etat et à ses comportements pour le moins énergiques, des travailleurs syndiqués qui, comme à la Sncf ou à la Ratp, continuent à exalter le service public en l'immobilisant, et seulement parce que l'expression signifie plein emploi.
Ils ne sauraient pourtant nier que les soutes des ferries continent-Corse sont percées ; ce n'est pas l'eau qui les engloutit, mais l'hémorragie financière et, aussi pénible que soit en toute circonstance le licenciement de 400 travailleurs, il est devenu évident, avec le temps, que la Sncm est un tonneau des Danaïdes.
Osera-t-on suggérer que si, effectivement, le service public avait été assuré, si des grèves longues et dures n'avaient pas entravé le développement naturel de la société et si, par des services de haute qualité et ponctuels, la Sncm avait empêché la concurrence de lui prendre une part de marché, les employés CGT ou STC auraient gardé leur emploi ?
LA H[229]TE DE L'ÉTAT MONTRE QU'IL VEUT METTRE UN TERME AU MYTHE DU SERVICE PUBLIC
Le respect du client.
Il y a du vrai dans ce qu'ils disent : que Butler fait une trop bonne affaire, que sa mise de fonds est insuffisante et que la Sncm est privatisée sans autre forme de procès par un Etat expéditif.
Malheureusement, l'argument service public a déjà beaucoup servi : on voit mal comment la qualité du voyage est meilleure quand des grèves à répétition jettent un doute sur le respect des horaires et causent aux clients des désagréments importants. Le service privé est probablement plus efficace. Quant à l'acte de piraterie qui a entraîné quelques marins du STC en dehors des confins de la loi et des eaux territoriales, que prouve-t-il, sinon le désespoir des employés, qui seraient bien en mal de faire une proposition sérieuse ?
Ce qui sous-tend la rage par ailleurs compréhensible des employés, c'est l'idée que le dernier refuge du déficit bénin, c'est le service public. Eh bien, ce temps-là est passé. On peut toujours dire, bien sûr, que M. Chirac n'avait pas besoin de diminuer l'impôt sur le revenu, ce qui aurait permis à l'Etat de continuer à financer à perte la Sncm ; mais cela revient à dire que les travailleurs de la société espèrent changer de gouvernement. En outre, il n'est pas certain que la gauche revenue au pouvoir n'entérinerait pas la décision conjointe de nos ministres de l'Economie et des Transports : la privatisation de la Sncm traduit l'impatience de l'Etat face à des gouffres financiers qui ne peuvent se perpétuer que grâce à l'argent du contribuable.
On ne voit pas pourquoi la totalité des citoyens doit payer pour le voyage d'une minorité, ceux qui vont du continent à la Corse, ou l'inverse. Le prix du trajet doit permettre au transporteur de vivre. Bien entendu, les licenciés ne doivent pas être abandonnés à leur sort et peut-être l'Etat ne devrait-il pas laisser Butler en décider sans qu'il leur soit fait une offre de reclassement. Adieu le service public, vive le service efficace.
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