Le temps de la médecine : les pouvoirs de l'eau
« DANS NOTRE RELATION intime avec l'eau, nous devons choisir entre les figures sacrées de deux pachydermes gigantesques et mythologiques, Behémoth et Ganesa.
Il est plus facile de reconnaître l'hippopotame dans la description enthousiaste que le "Livre de Job" nous donne de Behémoth. Il vit dans le secret des marécages, couvert par l'ombre des saules. Il se couche au milieu des lotus et des roseaux. Il ne craint pas la crue du fleuve quand même les eaux du Jourdain lui monteraient jusqu'aux naseaux.
Ganesa, dieu-éléphant, s'arrose avec sa trompe pour se laver et se rafraîchir. C'est un principe actif qui doit être invoqué avant toute entreprise. Il tient sous ses pieds le rat, le plus infatigable des animaux. Ganesa s'oppose à Behémoth comme l'action s'oppose au rêve et comme la douche s'oppose au bain.
Etes-vous bain ou douche ? On ne saurait exagérer l'importance caractérologique de cette alternative.
Vous êtes bain, me dites-vous ? Soit. Vous avez opté pour la position horizontale. Vous flottez immobile et rêveur dans une eau tiède, parfumée, mousseuse, c'est-à-dire trouble ou même opaque. Vous fermez les yeux. Mais prenez garde ! Vous êtes sans défense, vulnérable, offert à tous les coups. Marat fut poignardé dans sa baignoire par Charlotte Corday. Sous la douche, il se serait défendu, c'est sûr !
Il faut aller plus loin. Vous êtes en état de régression. Vous revenez à l'état de fœtus flottant dans le liquide amniotique. La baignoire, c'est le ventre de maman, demeure douce, accueillante, protectrice. Vous retardez avec angoisse l'épreuve de la sortie du bain, comme une naissance cruelle qui vous laissera nu, mou et grelottant sur le carrelage dur et froid du sol.
L'homme se douche debout, au contraire. L'eau limpide le fouette pour qu'il s'élance dans la journée nouvelle dont il prévoit les travaux. Il se frotte activement avec une savonnette, se masse lui-même, comme un sportif avant l'effort. Son propre corps l'intéresse. Il ne déteste pas qu'un miroir lui renvoie son image.
La douche idéale, c'est le torrent issu de la pureté des neiges éternelles et tombant dru dans la vallée rocheuse. La publicité des eaux minérales puise abondamment dans cette mythologie vigoureuse et puritaine. Boire cette eau, c'est doucher l'intérieur de son organisme et lui administrer une sorte de baptême intérieur. Car l'eau courante et limpide de la douche s'entoure d'une signification baptismale. C'est par une douche - toute l'iconographie le montre -, non par un bain, que Jean-Baptiste a baptisé Jésus dans le Jourdain. Sous la douche, le pécheur se lave de ses fautes et rend à son corps une innocence originelle. La propreté - avec tout son halo moral - hante l'homme sous la douche, alors qu'elle n'est qu'un souci lointain pour le baigneur.
On l'aura bien sûr compris : politiquement, la douche se situe à gauche, le bain à droite. »
* Folio, Mercure de France, 1994, 1996.
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