PRATIQUE
Un père de 48 ans et son fils de 15 ans, correctement vaccinés, venaient d'effectuer un périple d'un mois les menant d'Afrique du Sud au Malawi. Ils avaient bien suivi leur chimioprophylaxie antipaludique par méfloquine (Lariam). Etant venus pratiquer la plongée pendant une semaine au lac Malawi, au cap Maclear, ils s'y baignaient comme tout le monde sans précaution particulière.
Une semaine après leur retour en France, tous deux présentaient simultanément une fièvre oscillante entre 38,5 °C et 40 °C, résistante aux antibiotiques et aux antipyrétiques. Il existait des céphalées, des nausées, des vomissements, une diarrhée aqueuse et des douleurs de l'hypochondre droit. L'examen clinique mettait en évidence une hépatomégalie et un dème du visage, et, uniquement chez le fils, une urticaire du tronc et de l'abdomen. L'hémogramme montrait une hyperéosinophilie supérieure à 2 500/mm3 sans hyperleucocytose. On notait un syndrome inflammatoire, une cytolyse et une cholestase anictérique plus marquées chez le père. Les enzymes musculaires étaient normales.
La recherche de plasmodium et de microfilaires restait négative, tout comme les hémocultures, les coprocultures, les examens parasitologiques des selles, l'examen cytobactériologique des urines, les sérologies des hépatites virales A, B et C, et, secondairement, les sérologies de la trichinose, toxocarose, hydatidose, distomatose, filariose. Les radiographies pulmonaire et de l'abdomen étaient normales. L'échographie abdominale montrait une hépatomégalie homogène.
Le diagnostic de primo-infection bilharzienne pouvait être évoqué dès l'anamnèse sur un faisceau d'arguments. La survenue simultanée d'un tableau clinico-biologique superposable au sein de la famille laissait présager un facteur épidémiologique commun. Les deux touristes avaient été en contact avec de l'eau douce en zone d'endémie bilharzienne. Ils passaient leurs journées à nager dans le lac Malawi et se douchaient avec l'eau du lac contenue dans des citernes. Or ce lieu hautement touristique est aussi, depuis quelques années, une zone de forte prévalence de la bilharziose. Le délai d'apparition des signes cliniques classiquement compris entre deux et huit semaines était ici de cinq semaines. La présence de signes généraux et la symptomatologie digestive avec hépatomégalie constituaient des éléments supplémentaires pour le diagnostic. Surtout, l'dème du visage et l'urticaire évoquaient un processus immuno-allergique rencontré en phase d'invasion de certaines helminthiases. Les malades n'avaient certes pas décrit la caractéristique « dermatite allergique du baigneur » consécutive au premier bain infestant. Mais elle est discrète ou inexistante pour S. haematobium qui semble être l'espèce prédominante au cap Maclear.
De fait, un traitement par praziquantel, Biltricide (40 mg/kg en deux prises espacées de quatre heures), était d'emblée entrepris au deuxième jour devant la forte suspicion de bilharziose (cependant, une prise d'ivermectine, Stromectol[226] était associée par sécurité dans l'éventualité d'une primo-infection par un némathelminthe). La sérologie reviendra secondairement positive en immunofluorescence (1/128 et 1/40) et en agglutination (1/64 et 1/140), confirmant le diagnostic. Un mois plus tard, le père et le fils étaient guéris.
Ces observations de formes aiguës de primo-invasions bilharziennes d'évolution rapidement favorable rappellent l'efficacité du praziquantel en dose unique, traitement de référence de la bilharziose. Sa prescription présomptive doit être entreprise au plus tôt, dans l'attente du retour sérologique, dès l'existence d'un contexte compatible avec une primo-invasion bilharzienne. Ce test thérapeutique permet en effet d'éviter l'évolution vers une exceptionnelle et redoutable complication neurologique aiguë. Il faut surtout alerter les voyageurs des risques liés au bain, même bref, en eau douce dans les zones d'endémie bilharzienne.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature