L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) – ex Afssaps – a assoupli le 24 avril dernier ses recommandations sur l’utilisation du baclofène (Lioresal® et génériques) dans le traitement de l’alcoolo-dépendance. Voilà près d’un an, l’agence mettait en garde les prescripteurs contre toute velléité d’utilisation de la molécule compte tenu d’un manque de preuves d’efficacité et de sécurité d’emploi suffisantes. Mais, face aux fortes pressions des associations de lutte contre l’alcoolisme, à celles du public en réponse à la médiatisation du produit, ainsi qu’à de récentes données observationnelles qui montrent des bénéfices cliniques chez certains patients, l’ANSM modère ses précédentes restrictions d’utilisation : « le recours au baclofène doit être considéré au cas par cas et avec une adaptation posologique individuelle afin de garantir (...) la dose utile pour chaque patient (…) par des médecins expérimentés dans le suivi de ce type de patients dépendants?».
Alors qui peut prescrire du baclofène ? Pour le Pr Philippe Jaury (département de Médecine générale, université Paris-Descartes, Paris) qui a mené l’étude d’observation positive pour le baclofène publiée dans Alcohol and Alcoholism, « c’est au médecin de juger selon ses compétences, comme pour toute molécule ». À qui le prescrire ? Pour le Pr Henri-Jean Aubin (Addictologie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif) rompu au maniement du baclofène, il faut que les patients soient en souffrance. « Plus le patient vit des conséquences négatives de sa consommation d’alcool, plus le bénéfice attendu est important ». Pour le Pr Jaury, l’indication est plus nuancée. C’est la motivation du patient qui est cruciale. « Il faut le prescrire à ceux qui le demandent sans qu’ils soient obligatoirement dépendants à l’alcool », précise-t-il. L’effet
du baclofène, analogue structural de l’acide gamma amino butyrique (GABA), est particulièrement probant au niveau du « craving » cette irrépressible envie de boire de l’alcool.
Pas de consensus
Comment le prescrire ? Il n’existe aucune attitude consensuelle. « La dose moyenne d’entretien varie autour de 150 mg/jour mais elle peut aller de 30 à 300 mg/jour. On ne sait pas quelle dose va convenir à un individu, la dose finale dépend du niveau d’efficacité et de tolérance. Il faut sans cesse réévaluer le rapport bénéfices/risque », indique le Pr Aubin. Il existe le forum de l’association Aubes* où 300 médecins impliqués discutent et échangent leurs expériences. « On tâtonne, c’est normal », estime Philippe Jaury.
En l’absence de schéma thérapeutique validé, le Pr Aubin commence par une posologie d’un comprimé de 10 mg qu’il augmente d’un comprimé tous les deux à quatre jours. Il n’y a a pas de relation entre le poids et la dose à atteindre, contrairement à ce qui avait été démontré sur des données animales. « Il faut voir souvent le patient, toutes les deux semaines au début, puis toutes les quatre semaines. Il faut trouver l’équilibre entre l’efficacité sur l’envie de boire et un niveau de tolérance acceptable.?» Les effets indésirables sont essentiellement centrés autour de la somnolence, des vertiges et de la confusion, voire des insomnies.
« Aujourd’hui, 30 000 patients sont sous baclofène », poursuit le Pr Jaury qui regrette l’absence de registre structuré de suivi de ces patients. Reste que la prescription hors AMM pose un problème médico-légal. « Je documente les traitements déjà reçus, j’informe le patient des conditions d’administration hors AMM et des limites des connaissances sur l’efficacité et la tolérance. Je lui donne deux exemplaires de la notice de l’Afssaps d’avril 2012 dont un signé avec une mention de lecture, rapporte le Pr Aubin. Je lui demande aussi de ne pas conduire et de ne pas interrompre son traitement brutalement. J’informe par courriers mes correspondants, le médecin traitant et tous ceux impliqués dans la prise en charge de ce patient.»
En avril dernier, l’ANSM a autorisé le lancement d’un essai clinique contrôlé nommé Bacloville, chez des patients présentant une consommation d’alcool à haut risque qui seront suivis pendant au minimum un an. Mais cette étude risque de se heurter à des difficultés d’inclusion de patients. Lesquels d’entre eux accepteront de prendre le risque de recevoir le placebo s’ils peuvent avoir le baclofène autrement ?
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