Q UE cherche à dire ce nourrisson, qui, les yeux grands ouverts, face à un adulte attendri, vocalise tout en agitant ses bras ? Fait-il de simples bruits ou tente-t-il de reproduire les sons, le rythme de ce qu'il entend ?
Les deux hypothèses coexistent. Certains y voient une activité non linguistique, simple résultat de l'ouverture et de la fermeture de la bouche. D'autres attribuent au babillage les tentatives d'une acquisition du langage rendue possible par une sensibilité des bébés aux séquences rythmiques du langage parlé.
C'est un argument supplémentaire en faveur de cette seconde hypothèse que fournissent des auteurs québécois (Laura Ann Petitto et coll.) dans le dernier « Nature ». La démonstration est astucieuse. Elle repose sur l'étude de deux groupes de trois nourrissons. Les premiers issus d'un univers familial ordinaire, les seconds de parents sourds et muets, communiquant donc par langage de signes. La validation chiffrée de l'expérience s'appuie sur une étude des mouvements de bras des nourrissons dans l'espace, rendue possible par un appareillage opto-électronique de poursuite et analyse des mouvements, l'Optotrak.
L'activité manuelle des bébés a été analysée pendant soixante minutes à 6, 10 et 12 mois. Les tests reposaient sur des présentations d'objets et sur des phases de jeu. Des différences sont apparues nettement sur l'Optotrak, ainsi que sur des bandes vidéo.
Une gestuelle différente
Les enfants exposés au langage des signes n'avaient pas la même gestuelle. Les mouvements de bras aux rythmes de basse fréquence différaient de ceux des bébés entendant la parole. De même, les mouvements de fréquence élevée, que les nourrissons entendant la parole utilisaient quasi exclusivement, étaient également différents. L'activité de basse fréquence des enfants de déficients auditifs se confinait essentiellement à un espace très restreint (82 %). Un volume équivalent à celui imposé par le langage des signes. Leurs activités de fréquence élevée, en revanche, sortaient le plus souvent de cet espace (73 %). Chez les bébés témoins, les bras dépassaient ce volume étroit dans 92 % des cas. L'interprétation suggère que « quantitativement, l'activité des mains de basse fréquence correspond au schéma rythmique des syllabes en langage des signes (...) seuls ces mouvements de basse fréquence ont les propriétés qualitatives d'un babillage silencieux linguistique par signe. » Les auteurs concluent que « les mouvements linguistiques et moteurs sont différenciés par leurs fréquences rythmiques distinctes, qui ne peuvent exister que si les bébés sont capables d'utiliser les modèles rythmiques spécifiques qui sous-tendent le langage humain. »
« Nature », vol. 413, 6 septembre 2001, pp. 35-36.
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