La fixation cimentée des prothèses doit être considérée comme une technique à part entière avec des exigences toujours perfectibles. Elle réclame d’être personnalisée en fonction du système d’implant sélectionné pour un patient donné.
UTILISES pour la première fois, il y a pratiquement un demi-siècle, par le Britannique Charnley, le ciment acrylique a mis sur les rails la chirurgie prothétique de hanche moderne, en permettant la réalisation reproductible de cette intervention sur des milliers de patients. Par la suite, les autres prothèses articulaires ont également bénéficié de ce polymère dont l’utilisation a fini par être quasi ubiquitaire en chirurgie orthopédique. Cependant, ce quasi-monopole du ciment acrylique sur les implantations prothétiques a, depuis une vingtaine d’années, été remis en question. Ainsi, aujourd’hui, tout au moins en ce qui concerne les prothèses de hanche, l’usage du ciment ne concerne plus que 50 % environ des interventions.
Un parcours historique plutôt honorable.
Inspiré au départ de l’art dentaire, l’usage du ciment acrylique, dans la conception de son promoteur, Charnley, ne représentait qu’un des paramètres d’un concept beaucoup plus vaste, celui de la Low Friction Arthroplasty (LFA). Le chirurgien britannique écrivait déjà dans les années 1960 que ce qui importait en matière de prothèse de hanche n’était pas l succès immédiat (fut-il spectaculaire), mais la persistance de ce succès pendant de nombreuses années. Avec ses choix à la fois de géométrie prothétique, de couple de surfaces articulaires en présence et de méthode d’utilisation du ciment, la Low Friction Arthroplasty, qui représente la référence historique, est parvenue à conserver des prothèses fonctionnelles une trentaine d’années en moyenne, chez deux opérés sur trois.
Après cette première expérience plus qu’encourageante, des implants cimentés, conceptuellement différents de la « LFA » ont été mis sur le marché.
Certains ont abouti à des succès à long terme, d’autres à des échecs graduels de fixation s’accompagnant d’un remodelage osseux sur le mode ostéolytique.
Ces échecs ont été mis sur le compte d’altérations mécaniques du ciment.
Dans les années 1980, on est même allé jusqu’à parler de « maladie du ciment » sans trop se demander si cette « maladie » n’était pas, en fait, un simple épiphénomène de la problématique plus complexe du descellement. Dans le même temps, au début des années 1970, ont été proposées des techniques dites de deuxième génération d’introduction du ciment sous pression (pistolet et pressurisation).
Il est apparu par la suite que ce que l’on croyait exclusivement dû à des altérations du ciment provenait des particules d’usure du polyéthylène intervenant sur la fixation de ce ciment, au terme d’un processus inflammatoire complexe.
Plus récemment, des techniques dites de troisième génération de cimentation ont fait leur apparition. Il est de plus devenu clair que de très nombreuses caractéristiques de l’implant jouaient un rôle critique dans la survenue des descellements et que le ciment lui-même et/ou sa technique de mise en place ne pouvaient être les seuls incriminés.
Des principes relativement clairs, bien que dépourvus d’une valeur de garantie d’une fixation définitive des implants, se sont dégagés progressivement de l’étude des grandes séries.
– La technique de cimentation de troisième génération doit optimiser à la fois la préparation du ciment, la préparation de l’os receveur et la qualité d’un remplissage (volumétriquement minimalisé) de l’espace os-implant.
– Une combinaison favorable des caractéristiques de l’implant (revêtement mat-brillant, section rectangulaire à bords ronds, collerette ou non...).
Il est surtout apparu qu’une modification intempestive d’une caractéristique, même considérée comme mineure, d’un implant (vérifié performant) pouvait se solder par une augmentation catastrophique des taux de descellement n’ayant pas de corrélation directe avec le ciment lui-même ou la technique utilisée.
Petit à petit s’est donc imposée la notion qu’à chaque système d’implant correspondaient des caractéristiques de cimentation et que c’était l’ensemble du couple implant-ciment qu’il importait d’analyser plutôt que chacun de ses éléments constitutifs.
Un composé bien connu.
Le ciment acrylique est un mélange chimique bien connu. Il résulte de la combinaison de deux composants de base : le méthylméthacrylate (MMA) et le polyméthylméthacrylate (Pmma).
En pratique, il s’obtient par mélange d’une poudre et d’un liquide. La poudre est constituée de billes de polyméthylméthacrylate auxquelles sont ajoutés des agents radio-opaques (sulfate de baryum ou dioxyde zirconium) afin d’en assurer le suivi radiographique après implantation, et auxquelles peuvent être également adjointes des substances colorantes, pour en assurer l’éventuelle ablation ultérieure.
Le liquide est constitué du monomère (MMA), accompagné d’un catalyseur de polymérisation, diméthylparatoluidine.
La polymérisation se déroule en quatre phases successives : une phase de mélange, une phase de repos (achevée lorsque le ciment n’adhère plus au gant chirurgical humidifié), une phase de travail (utilisée pour sa mise en place) et une phase de durcissement ou de prise correspondant à la polymérisation finale.
La durée de ces différentes phases intriquées dépend des conditions de température et d’hygrométrie de l’environnement ; elle est spécifiée par le fabriquant. L’équipe chirurgicale doit être parfaitement familière de ces caractéristiques de prise, de façon à éviter toute source d’incident technique lors de cette phase parfois délicate du temps opératoire.
Les qualités du ciment, ou plutôt des ciments, sont conditionnées entre autres par les phénomènes accompagnant leur polymérisation. Il se produit, durant cette phase, une rétraction susceptible de s’accompagner de microporosités à l’origine ou non de microfractures. Une exothermie est inhérente à cette phase de polymérisation susceptible d’altérer plus ou moins la vitalité de la couche osseuse au contact de laquelle elle se produit.
Quant aux propriétés mécaniques de ce matériau, qu’il faut considérer comme un matériau de remplissage plutôt que comme une colle, elles sont supérieures en compression qu’en tension ou qu’en flexion. En d’autres termes, le ciment est à son meilleur avantage mécanique lorsqu’il transmet des contraintes en compression.
Quant à l’ajout d’antibiotiques, il ne peut se faire empiriquement. Ce sont les préparations commerciales qui, seules, doivent être utilisées (ciment à la gentamycine ou à la tobramycine), et plutôt dans les cas de révision pour descellement infectieux, bien que leur usage en première intention soit préconisé par certaines écoles.
Le ciment aux antibiotiques est effectivement susceptible de relarguer sa charge médicamenteuse et donc de constituer une éventuelle prophylaxie anti-infectieuse.
Le ciment doit être conçu comme un « tampon élastique », transmettant les charges de la prothèse vers le squelette. La fixation cimentée du couple prothèse-squelette conduit donc à analyser mécaniquement, d’abord, biologiquement et radiographiquement ensuite, trois sites interfaciels : os-ciment ; ciment-implant ; ciment lui-même.
Une interface os-ciment non figée.
L’interface os-ciment est avant tout conditionnée par la qualité de l’ostéo-intégration. Ce dernier phénomène est évolutif dans le temps.
Au stade initial, l’intimité du contact obtenu par les techniques de dernière génération facilite cette ostéo-intégration qui ne constitue aucunement un phénomène biologiquement figé, dans la mesure où des cellules osseuses (ostéoclastes, ostéoblastes, macrophages, cellules mésenchymateuses…) et des facteurs de croissance sont présents sur ce « front » squelettique.
Le remodelage osseux apparaît donc après la phase initiale. Le meilleur scénario est que ce remodelage s’adapte aux contraintes et qu’il se fasse de façon harmonieuse et équilibrée. A plus long terme peut se produire une dégradation osseuse de cette interface, éventuellement favorisée par des phénomènes inflammatoires, réactionnels à des produits d’usure. Au maximum, ces altérations versent dans un processus d’ostéolyse, qui devient un cercle vicieux évolutif destructeur autoentretenu. Toutes ces phases évolutives de l’interface os-ciment peuvent être surveillées radiographiquement, mais les altérations radiographiques sont parfois en retard sur la réalité biologique.
Une interface prothèse-ciment moins obscure.
L’interface prothèse-ciment était jusque-là considérée comme difficile à évaluer. La patience des chercheurs a fini par lever une partie du mystère qui l’entourait. Le comportement mécanique du ciment (module d’élasticité, redistribution des charges, dissipation d’énergie…) évolue dans le temps. L’interaction avec l’implant dont il assure la fixation dépend des caractéristiques géométriques, spatiales et de surface de cet implant. Il existe pour les pièces fémorales deux concepts de fixation :
– la fixation par étroite conformité morphologique grâce à laquelle le ciment épouse les irrégularités de l’implant pour l’intégrer comme une poudre composite ;
– la fixation par système d’emboutissage selon laquelle le manteau de ciment (d’une prothèse la plus régulière possible) devient une base d’ancrage et de redistribution harmonieuse des contraintes transmises à l’unité implant-ciment.
L’analyse microscopique électronique a permis de mieux connaître cette interface. L’enchevêtrement des billes polymériques de la poudre avec la matrice des chaînes du monomère peut être plus ou moins complexe. Les dernières générations de techniques de cimentation cherchent à améliorer cette qualité d’enchevêtrement par la préparation sous vide et la pressurisation.
De très nombreuses exigences pratiques.
La fixation cimentée, au fur et à mesure qu’elle a été mieux connue, a conduit à des exigences pratiques de plus en plus méticuleuses.
Le choix du ciment se fait d’abord dans une gamme d’une centaine de produits disponibles sur le marché. Ces produits se caractérisent par trois niveaux de viscosité au stade de la prise.
La technique de cimentation tient compte de la préparation du support osseux, de la préparation du ciment et du mode de mise en place du ciment. Les complications de la cimentation (anomalies hémodynamiques de type embolie graisseuse) sont mieux maîtrisées.
Il revient aux opérateurs de rassembler les conditions optimales de fixation :
– au fémur, après sélection de l’implant le plus approprié, assurer une cimentation suivant la logique la mieux adaptée aux recommandations des concepteurs de système d’implantation ; manteau continu, homogène, uniforme, épais, ou au contraire, manteau fin irrégulier…
Au niveau du cotyle, mise en place d’une couche homogène sur un socle d’os sous-chondral respecté.
D’après une conférence d’enseignement du Pr Dominique Chauveaux (Bordeaux).
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